Le 27 mai, le parlement a adopté une loi sur la fin de vie. « ruedespuces » s'autorise parfois à aborder des sujets de société qui concernent tout le monde. Ce billet est bien sûr personnel et n'a pour seul but que d'apporter un humble témoignage.
« Elle avait décidé de ne plus souffrir. En 2002, La loi sur l'euthanasie venant d'être votée aux Pays-Bas elle demanda à être délivrée de ses souffrances.
Sur l’oreiller blanc, ses yeux bleus ressortent encore d’avantage de son visage amaigri. Els est calme et arbore un léger sourire au coin des lèvres. A deux heures précises la sonnerie de la porte d’entrée retentit. Le docteur me précède dans la chambre après avoir frappé sur la porte entrouverte. Il donne la main à mes filles et passe entre la fenêtre et le lit pour aller serrer celle de Els qui lui fait un grand sourire. Il pose sa sacoche à ses pieds et dit à mes deux filles qu’il trouve préférable qu’elles n’assistent pas à la scène. « Pourquoi ? » dit Els « Je vais avoir un comportement bizarre ? » « Non, non, pas du tout, mais c’est un acte brutal qui risque de leur rester gravé dans la mémoire. » Nous affirmons tous les trois que nous en avons parlé longuement et que nous sommes décidés à vivre ce moment ensemble. Els confirme d’un mouvement de la tête. S. et moi prenons place sur le rebord du lit et M. s’assoit entre nous. Nous tenons la main gauche de Els dans les nôtres.
Pendant que le docteur remplit ses deux piqûres Els s’adresse une dernière fois à ses filles pour leur dire : « Papa peut bien se remarier s’il le désire ! ». Le docteur, sa seringue à la main, s’approche de Els en hésitant. « Vous pouvez me regarder droit dans les yeux. » lui dit-elle « Vous me rendez un grand service, je vous en remercie. » Le docteur enlève ses lunettes. Il a une larme sur la joue. Il pique dans un appareil qui a été implanté sous la peau, au dessous de l’épaule gauche et qui servait lors des séances de chimiothérapie à faire les perfusions.
Au moment où les premières gouttes du liquide sortent de la seringue, Els porte sa main droite en direction de sa tête, la laisse retomber sur sa poitrine et ferme les yeux définitivement. Son dernier souhait a été exaucé. Nous l’embrassons encore une fois. Elle a toujours son léger sourire. Elle est enfin délivrée de ses souffrances.
Au bout de deux ou trois minutes, après s’être assuré que Els ne respire plus, le docteur descend dans la salle de séjour pour passer un coup de téléphone. Lorsqu’il revient, je lui demande s’il veut bien prendre une tasse de thé avec nous. Il accepte d’autant plus volontiers qu’il doit attendre la venue d’un docteur chargé de contrôler si tout s’est passé dans les règles. Je le vois prendre les seringues qui sont posées sur la table de chevet et lui dit que je me chargerai de ranger tout ça, mais il m’explique qu’elles doivent rester là afin que le médecin qui va venir, puisse contrôler qu’elles ont bien été utilisées.
De nous quatre, c’est le médecin qui a l’air le plus secoué. Ce n’est pas seulement à cause de l’acte qu’il vient d’effectuer, mais aussi parce qu’il a été très impressionné par la détermination, le calme et le courage dont Els a fait preuve.
Quelques mois auparavant, alors que tous les traitements s’étaient avérés inefficaces, Els avait téléphoné au docteur S qui n’était notre médecin de famille que depuis une année ou deux pour lui demander de venir la voir afin qu’ils puissent parler d’euthanasie.
Il avait répondu que ça n’était pas encore à l’ordre du jour, qu’en principe il n’y était pas opposé, mais que ça ne l’enchantait pas. En décembre, lorsque les souffrances ont été telles qu’elle a dû augmenter considérablement ses doses de morphine, la question s’est faite plus pressante (La loi stipule qu'il faut être conscient lors de la demande d'euthanasie) mais le docteur ne semblait toujours pas disposé à vouloir mettre le sujet sur la table. A la mi-janvier, l’état de Els s’est encore aggravé. Elle ne pouvait plus sortir du lit sans aide et nous avons dû faire appel à des infirmières pour venir la laver une fois par jour. C'est à ce moment là que le docteur a commencé à venir une fois par semaine et une ébauche de dialogue s’est alors engagé. Néanmoins, alors qu’Els lui expliquait que sa décision était prise, qu’elle voulait être libérée de ses souffrances, que la situation était de toute façon sans espoir et qu’elle avait peur de devoir aller, un jour, à l’hôpital (elle voulait absolument mourir dans son lit et en ma présence) il semblait vouloir gagner du temps et espérait sûrement que bientôt, il n’aurait plus besoin d’intervenir car la nature le ferait à sa place.
Fin janvier, le docteur semblait disposé à accélérer les choses, il a contacté un de ses collègues pour que celui-ci ait un entretien avec Els (la loi exige l'avis d'un deuxième médecin). Lors de l'entretien avec ce docteur Els lui a exposé ses arguments en insistant sur les souffrances et l’irrévocabilité de la maladie et « en plus » a t-elle dit : « j’ai une dent de sagesse qui pousse et elle n’a pas de place ! » cela a fait rire le médecin, mais reprenant le sérieux que demandait la situation, il a fait un résumé de ce qu’ Els venait de lui raconter : issue fatale, pas d’espoir, souffrances, dépendance et détermination à en finir longuement mûrie et acceptation de la mort. »
François Champelovier