J’ai emprunté l’adjectif « forcené » à mon ami Jean-Pierre Moulin qui se qualifiait lui-même volontiers de pédagogue « forcené ». Suis-je une optimiste acharnée, immodérée, excessive ? Pour ceux qui m’ont côtoyée sur la place cet été, peut-être... Le contexte anxiogène, incertain, fragile que nous vivons actuellement n’est pas propice à cultiver le bon côté des choses. Nous nous sentons menacés de tous côtés : la nature est hostile et se rebelle. Un petit être vivant microscopique a raison de nos économies mondiales et libérales et est capable de tout désorganiser. Nous n’avons plus la liberté de nous déplacer de par le monde, un de nos besoin physiologique de base, celui de respirer, est entravé par les masques que l’on nous impose de porter. Et les chaînes de télévision déversent en continue leur flot de négativité 24h/24.
Alors comment rester positif ? Est-ce de l’angélisme, de la naïveté, du déni ?
Pendant un petit mois, j’ai observé la vie Saint Martinoise : les paysages immuables, la nature imposante, confiante, sereine, les arbres bien enracinés dans la terre, pas faciles à déloger et tout le petit monde des oiseaux, des insectes, des animaux, vivant sa vie, chacun à sa place dans son espèce. Vous avez-dit virus ? A part les guêpes qui nous ont gâché nos petits déjeuner sur les terrasses ou dans les cours, la vie s’est déroulée et continue de se dérouler selon un ordre bien établi, constant. Les prairies ont étalé leurs fleurs multicolores, les buissons de mûres, de framboises et de myrtilles ont donné leurs baies juteuses et sucrées. Et le ciel qui s’illumine à la nuit tombée, les discussions pour savoir le nom de la première étoile qui s’est embrasée, cette carte du ciel dont la géographie reste inchangée depuis des millions d’années. Vous avez dit virus ? Les jardins ont été cultivés avec amour et il y ont répondu généreusement. Vous avez récolté, découpé, mis en bocaux, stérilisé, congelé, fait des confitures, des coulis... Les garde-manger sont pleins. Les vaches continueront de regarder passer les randonneurs en ruminant paisiblement, les chèvres de Léo donneront toujours du bon lait qui servira à la fabrication de picodons et autres fromages à s’en lécher les babines. Bientôt, vous irez aux champignons, vous récolterez les châtaignes que vous ferez griller au coin du feu. Vous avez dit virus ?
Je me souviens des propos de mon hôte amie à qui je faisais remarquer qu’elle vivait dans un petit paradis où la nature était belle et généreuse et la nourriture exceptionnelle : « Peut-être, me répondit-elle, mais comme nous c’est toujours comme ça, on ne le sait pas ! »
Puisse ce petit billet vous servir de miroir afin de ne pas oublier que le bonheur « il est là » (pour paraphraser la chanson d’un chanteur à succès qui vous reste dans la tête toute la journée dès que vous l’avez entendue). J’ai conscience de vivre dans un monde imparfait, mais mon optimisme s’enracine dans la confiance en ces changements qui naissent ça et là dans tous les domaines de la vie et dans le plaisir de vivre. C’est un état d’esprit qui change tout.
Etre constructif sans fausses illusions, éviter les absolus, rester mesuré et équilibré, c’est peut- être ça la définition de l’optimisme lucide.
Evelyne Chomarat
Commentaires
Ce texte est poétique, bucolique, bien écrit, apaisant et plein d'espoir.
A PROPOS DU TERME "FORCENE"
Lorsqu'on emploie ce terme, on pense à un fou furieux, dangereux et armé jusqu'aux dents, ou à tout le moins à quelqu'un d'acharné à la réalisation d'un projet, prêt à employer tous les moyens pour parvenir à ses fins. Or, ce n'est pas exactement cela.
"Forcené" est d'abord composé de "fors" (c'est-à-dire "hors" ,"dehors") comme par exemple dans "forban" : celui-ci est hors du "ban", c'est-à-dire en dehors du territoire soumis à la juridiction du seigneur (ban a donné par ailleurs banal, bannière, banlieue...): en clair, un forban est un hors-la-loi.
Mais dans forcené, "cené" vient en realité de "sener", le sens, la raison. Forcené devrait donc s'écrire "forsené", c'est-à-dire celui qui est hors de la raison , un fou, quoi, mais qui n'implique pas nécessairement la violence ou la "force". C'est le rapprochement -illégitime- avec ce dernier mot qui a donné la graphie actuelle "forcené".
Jean-Pierre ne pouvait donc pas être un forcené de la pédagogie, comme il le prétendait ( il aurait alors été un individu qui a perdu la raison pédagogique!). Le terme le plus approprié semble être "passionné", qui implique une attirance très vive, très ardente, mais pacifique (1)(2).
(1) Toutefois, on dit aussi par catachrèse (c'est-à-dire en employant un mot au-delà de son sens initial) un fou de ciné, un fou de vélo ou un fou de...pédagogie!
(2) A contrario , on peut dire que cette année , nous avons connu les forcenés du confinement et les forcenés du masque !
Gilbert