Que nous reste-t-il pour nous dégourdir les jambes, nous, les urbains, parisiens de surcroît, quand le confinement restreint nos déplacements dans un rayon d’un kilomètre autour de notre domicile ? Pas de possibilités de fréquenter les jardins des Tuileries, ni ceux du Luxembourg, ni même de pousser jusqu’aux Bois de Vincennes ou de Boulogne. A part quelques squares dotés d’une poignée de bancs et de jeux d’enfants, il nous reste les cimetières!
Alors oui, cette année qui vient de s’écouler sous le règne de Covid-19, j’ai beaucoup arpenté le cimetière du Père-Lachaise, qui répond, en ce qui me concerne, à tous les critères de l’autorisation de déplacement.
Situé dans le 20ème arrondissement de Paris, sur une colline, c’est le plus grand cimetière parisien intra-muros, et l’un des plus célèbres dans le monde. Il s’étend sur 44 ha et totalise 70 000 concessions.
Un peu d’histoire :
Appelé cimetière de l’Est à son ouverture en 1804, il porte le nom d’un Prêtre Jésuite, François d’Aix de La Chaise (1624-1709), confesseur de Louis XIV pendant 34 ans.
Ce prêtre, très apprécié de la population, a longtemps vécu dans un domaine, situé à l’emplacement de l’actuel cimetière, où les jésuites venaient se reposer. Celui-ci prit le nom de son illustre occupant, officialisé lorsque les autorités locales décidèrent d’y construire un lieu de sépultures.
L’aménagement en fut confié à l’architecte Brongniart (qui a aussi réalisé la Bourse de Paris). Il le conçut comme un jardin à l’anglaise, avec des allées sinueuses et pavées, bordées d’arbres et de feuillus, où il faisait bon s’y promener.
Sauf que là, échec ! Pas de succès pendant dix ans. Les parisiens refusaient de s’y faire enterrer au motif que c’était un cimetière public, non rattaché à une paroisse.
Que faire ? Pour encourager la population à venir y choisir sa dernière demeure, les autorités décidèrent d’y transférer les corps de deux célébrités adulées des parisiens, Molière (1622-1673) et La Fontaine (1621-1695).
Mais il y a peu de chance que les restes de ces illustres lettrés soient présents dans leurs tombeaux.
En effet, Molière, du fait de sa profession de comédien à laquelle il n’avait pas renoncé avant sa mort, ne pouvait, en vertu de la loi de l’époque, recevoir de sépulture religieuse. Compte tenu de sa notoriété, l’archevêque de Paris aurait finalement accepté qu’il soit enterré dans un lieu consacré, le cimetière de la Chapelle Saint Joseph… Mais furieux de cette décision, le chanoine de la Chapelle fit, immédiatement après les obsèques, déplacer le corps dans un endroit non consacré, d’où la confusion ultérieure.
Quant à La Fontaine, il fut inhumé au cimetière des Innocents (actuel quartier des Halles). Suite à un effondrement en 1780, ce cimetière fut rasé et tous les ossements transférés dans les catacombes.
En 1792, la Révolution, désireuse d’honorer les grands hommes, fit exhumer les présumés restes de Molière et de La Fontaine, pour les transférer au Musée des Monuments Français qui fermera en 1816. Tombe de Molière
Tombe de La Fontaine
C’est ainsi que les autorités de l’époque récupérèrent les deux cercueils pour les déposer au Père-Lachaise, et que, désormais, les deux hommes reposent côte à côte pour l’éternité ! Est ce que le tour de passe-passe a marché ? Bien sûr, une décennie plus tard, le cimetière était très convoité par les parisiens, ravis de pouvoir partager leur dernière demeure avec ces deux célébrités ! Ah! Vanité, quand tu nous tiens !
Et aujourd’hui, le coût du mètre carré pour l’au-delà flirte allègrement avec celui des vivants, dans l’ici et maintenant !!!
Le cimetière a accueilli au fil des années de nombreuses personnalités, issues de multiples domaines.
Je pourrais citer la sulfureuse tombe d’Oscar Wilde .
L’écrivain-poète (1854-1900) a été jeté en prison en Angleterre et condamné à deux ans de travaux forcés pour un baiser homosexuel. Il est mort à Paris en 1900 à l’âge de 46 ans dans le dénuement le plus complet. Ce n’est qu’en 1912 que son ancien amant fit ériger un tombeau, au cimetière du Père-Lachaise, qui représente un Sphinx ailé. Mais la sculpture fut dotée de parties génitales conséquentes, ce qui provoqua scandale et indignation. La légende colporte que « deux anglaises émasculèrent la statue à coups de pierres (et de parapluie!!!) » et que les attributs finirent en tant que presse-papier sur le bureau d’un conservateur de musée! Qui plus est, dans les années 1990, un rituel s’instaura. Des admirateurs.trices, probablement en hommage à ce baiser condamné, prirent l’habitude de déposer un baiser de rouge à lèvres sur le tombeau. Au fil du temps, le bloc de pierre se dégrada et le monument fut protégé par de grandes parois de verre qui l’encerclèrent.
J’aime aussi m’arrêter devant une émouvante sculpture.
Elle ne porte aucun nom, aucune date. Sur la dalle repose un homme gisant qui tient dans ses mains le visage de sa compagne. On peut lire la touchante épitaphe : « Ils furent émerveillés du beau voyage qui les mena jusqu’au bout de la vie » « So romantic » !!!!
Tombe de l'homme gisant
Et puis, que dire de la déroutante tradition autour de la tombe de Victor Noir. Vous ne le connaissez pas ? Moi non plus, avant de découvrir son histoire ! C’était le nom de plume d’un journaliste né en 1848 et mort à Paris le 10 janvier 1870, d’un coup de feu, tiré par un cousin en disgrâce de Napoléon III. La raison ? Un différend politique, le Second Empire vacillait et la révolte grondait. Ce meurtre impuni suscita une forte indignation populaire et cet obscur employé de rédaction devint un symbole républicain.
Il fut transféré au Père-Lachaise en 1891, et le sculpteur Jules Dalou, ardeur défenseur de la République, réalisa un gisant en bronze, d’un réalisme époustouflant : « la bouche est ouverte, les mains gantées, les vêtements dégrafés, le chapeau est roulé et surtout il dote son oeuvre d’une virilité bien moulée au niveau du pantalon ».
Depuis, bon nombre de curieux.ses, en proie à des superstitions de fertilité, ont pris l’habitude de frotter ses parties intimes, ainsi que le nez, faisant disparaître l’oxydation de la patine à ces endroits-là.
Ce pauvre Victor, mort dans la fleur de l’âge à 21 ans, avait-il un seul instant imaginé vivre pour l’éternité de si tendres et délicates attentions ? Si ça n’est pas le paradis …
Peut-être une autre fois, vous parlerai-je des femmes au cimetière du Père-Lachaise …
Evelyne Colloud Chomarat