Je suis né pendant la deuxième guerre mondiale dans un village du département de la Seine au sud-est de Paris, et qui était une petite cité pavillonnaire de ~ 10 000 habitants en bords de Marne et dont le poète en parlant de "Sa Môme" disait d'elle que ce n'est pas une starlette qu'elle ne porte pas de lunettes de soleil, qu'elle ne lit pas les magazines mais qu'elle travaille en usine ... à Créteil...
Cette petite ville, comme beaucoup d'autres, a connu une très forte urbanisation et donc une progression démographique qui était due, à partir de 1956, à l'arrivée massive de migrants faisant suite à l'indépendance des protectorats français de Tunisie et du Maroc suivis d'autres migrants venus du Maghreb et d'Afrique noire.
Cette petite cité est maintenant la préfecture d'un département, celui du Val de Marne, dans la métropole du Grand Paris et a donc vu sa population passer à plus de 90 000 habitants.
Si je vous parle de ça c'est pour vous dire que toute mon adolescence a subit une influence de toute cette population qui avait une forte identité musicale.
La musique :
Je me souviens de ma communale au tout début des années 50... La musique et le chant y étaient alors enseignés et je me rappelle encore de cette enseignante s'efforçant de transmettre à toute une équipe d'élèves agités les rudiments de l'utilisation de cette petite flûte champêtre que nous appelions familièrement... pipeau.
Cette initiation n'était pas des plus attentives par les apprentis musiciens que nous étions, malgré les efforts de notre maîtresse.
A l'époque, l'étude de chants patriotiques était obligatoire : La Marseillaise, Le Chant du Départ et le Chant des Partisans et avec deux chants populaires au choix ces chants faisaient partie des épreuves du Certificat d'Etude Primaire.
Je me rappelle aussi encore maintenant les airs à la mode que ma maman fredonnait : L'hymne à l'amour, Les feuilles mortes, l'accordéoniste et autres Mon amant de Saint Jean
Mais revenons à mon école car là j’ai découvert quelque chose qui me troubla : la découverte d'une autre musique, celle que certains appelaient " grande musique".... Notre enseignante nous la fit découvrir avec un phonographe et ses disques 78 tours puis par le fabuleux "Teppaz" et ses vinyles de 33 et 45 tours qui nous enseignèrent ces grands chefs-d'œuvre.
Pour la compréhension des sons des instruments de musique nous avons, bien sûr eu droit à ce merveilleux conte musical "Pierre et le loup" lu par Gérard Philipe qui présenta les instruments et les personnages sur la musique de Prokofiev.
Bien sûr, Créteil n'est pas le berceau du Reggae, ni bien sur celui du Blues, ni du Jazz.et encore moins celui du Tango des bas-fond de Buenos-Aires. Non, non, certains jeunes cristoliens, dont je faisais partie, étaient plutôt influencés au début des années 1960 par la musique américaine, le bon vieux Rock des G.I. qui avaient leurs bases de l'OTAN à Orléans, Fontainebleau ou Châteauroux.
Nous y achetions leurs Fender "Stratocaster" et surtout les fabuleux vinyles de 45 tours que nous nous empressions de traduire à la mode française car le "yaourt" n'était pas notre langue favorite !
De nombreux groupes se formèrent : Vic Laurens et ses Vautours, les Pirates de Dany Logan, Les Charlots (ex Les Problèmes) Jacques Dutronc (El Toro et les Cyclones), et mon préféré, celui qui allait tailler le Bœuf au domaine Sainte Catherine en bord de Marne et qui était composé de ces jeunes qui, trouvèrent un chanteur du côté de Belleville, Claude Moine, qui s'empressa d'américaniser son nom, et qui en bons commerçants tunisiens, se sont empressés de trouver des sponsors pour financer leur aventure. C'est ainsi que la marque des chaussettes Stem leur trouva un nom : "Les Chaussettes Noires".
Si je vous parle de tout cela, c’est pour vous dire que mon adolescence a été influencée par toute cette population d'origines diverses mais qui avait une forte identité musicale... ... J’ai grandi dans un environnement où la musique était omniprésente et essentielle.
Voilà donc l'une des origines de ma passion pour la musique, que j’ai eu le plaisir de présenter dans des émissions d’une petite station radiophonique ardéchoise, issue d’une radio locale (Radio Cimes du Lizieux au Chambon sur Lignon), dès 1982 et ceci pendant près de 39 ans.
La radio :
Avant de vous parler de cette petite radio ardéchoise, la Radio Des Boutières, un historique s'impose.
Initialement synonyme de celui de radios pirates, les radios libres sont un mouvement qui a entraîné les radios émettant clandestinement dans les années 1970 en Europe pour revendiquer la liberté d'expression et la fin des monopoles d'État.
Le mouvement des radios libres démarre essentiellement en Italie, avec Radio Alice, puis en Grande-Bretagne, avec principalement la célèbre Radio Caroline, qui émettait depuis un bateau situé dans les eaux internationales.
En France, la radio et la télévision sont jusqu'en 1981 sous monopole et tutelle de l'État, via le ministère de l'Information, lequel contrôle l'ORTF (Office de Radio Télévision Française).
Suite à l'élection de François Mitterrand, les émissions de l'ensemble des radios libres deviennent tolérées, en attendant une loi leur attribuant un réel statut. Mitterrand met en place la loi Fillioud le 29 juillet 1982. Cette loi, du nom de son Ministre de la Communication Georges Fillioud, autorise les radios indépendantes à émettre, ce qui met définitivement fin au monopole.
Pour ce qui concerne notre petite radio associative locale, l'aventure commença au tout début des années 1980 car une radio "pirate" sévissait sur le plateau Vivarais-Lignon RCL (Radio Cimes du Lizieux) qui émettait clandestinement depuis la cité des Justes, le village du Chambon sur Lignon. A l'époque les autorités saisissaient les émetteurs qui étaient immédiatement remplacés par du matériel venu d'Italie. Cette radio obtînt l'une des premières dérogations au monopole d'État à la fin de l'année 1981.
C'est là que ma passion musicale allait pouvoir s'exprimer auprès d'auditeurs à qui je voulais la transmettre.
En 1982, avec des passionnés de radio habitant Le Cheylard nous décidèrent avec les responsables de RCL de créer une antenne cheylaroise appelée R.C.L. A.C. (Radio Cimes du Lizieux Antenne Cheylaroise).
Il fallait trouver un local adapté à notre petite "entreprise".
Tout d’abord un endroit fut trouvé juste à côté de la Mairie du Cheylard, chez « Pépé Vidéo » qui prêtait son local pour notre diffusion.
Puis un animateur proposa un petit baraquement situé au milieu d'une jardinerie du côté de la Palisse au Cheylard. Ce local n'était pas vraiment confortable et surtout très petit et il y pleuvait à l'intérieur ce qui était gênant pour le matériel mais des seaux permettaient judicieusement la récupération de l'eau pour minimiser les dégâts...
Cette petite radio n'était diffusée que très localement sur 4 ou 5 communes avoisinantes. Il fallait donc étendre notre auditoire et il fallait trouver un local plus "étanche".
Après plusieurs changements de locaux, dont un dans un local au-dessus de l’ancien cinéma « Le Foyer », un industriel local décida de prendre la responsabilité de cette radio en l'installant d'abord dans sa maison puis dans un local au bord de l'Eyrieux, fourni gracieusement par son entreprise.
Ce fut l'occasion de changer de nom et RCLAC qui s'appela R.D.B. (Radio Des Boutières) pour donner une connotation plus locale à cette radio.
Les débuts de RDB sont réussis. « C’étaient les grandes années musicales, tout le monde voulait faire son émission. Il y avait un espace de liberté incroyable à l’antenne qui attirait les jeunes. Enfin, pour tout dire c’était quand même une joyeuse pagaille et il a rapidement fallu se structurer.
Au milieu des années 80, c’était un peu l’âge d’or de la radio. L’association était bien organisée avec une quarantaine d’adhérents et nous avons eu nos premiers emplois aidés. Et grâce à des subventions nous avions du matériel high-tech pour l’époque.
Rappelons aussi que la région des Boutières est une zone montagneuse très vallonnée, peu peuplée et donc peu rentable économiquement pour que les grands médias nationaux ou commerciaux pour qu’ils investissent dans du matériel de communication qui puisse être écouté dans les vallées et qui ont donc délaissé cette zone en la laissant dans un désert radiophonique...
Notre radio locale de proximité en milieu rural décida de s'organiser pour faire en sorte que cette zone blanche soit accessible à tous les habitants de ce secteur. Nous avons donc demandé à la Haute autorité de la communication audiovisuelle, qui précéda le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel), l'utilisation de cinq fréquences de façon à ce que R.D.B. diffuse ses émissions sur le centre Ardèche (région des Boutières, plateaux du Mézenc et Vivarais-Lignon, Vallées du Doux et de l’Eyrieux…), une partie de la Haute-Loire et de la Drôme.
1982 – 2012. En 30 ans, R.D.B. avait investi les ondes des alentours du Cheylard. Une longévité remarquable à l’époque. Puis vint l’épisode de 2010 – 2011 qui nous a décidé à la prudence (lorsque RDB a failli ne pas recevoir les taxes gérées par l'État, indispensable à son fonctionnement,) tout ceci a marqué les esprits.
(Les radios associatives non commerciales sont notamment soutenues en partie par le ministère de la Culture et par le Fonds de soutien à l'expression radiophonique (FSER). Le financement du FSER est assuré par un prélèvement sur les ressources provenant de la publicité diffusée par voie de radio et de télévision. Elles sont autorisées à diffuser de la publicité, jusqu'à hauteur de 20 % de leur budget)
D’ailleurs c’est tous les ans un casse-tête pour obtenir ces aides de l’État. Le travail de l’année est épluché dans les moindres détails, la radio doit fournir un dossier de centaines de pages...
On a compris que même si on avait l’expérience nous restions une radio associative fragile financièrement et que le plus important c’était la pérennité de la radio. L’épisode de 2010 – 2011, a au moins eu de bon que tous les bénévoles ont pu se rendre compte de l’attachement de la population et des élus à la radio. Sans la mobilisation, RDB n’existerait plus.
La longévité de RDB s’explique par sa capacité à évoluer. La radio « au feeling » des débuts a fait place à un média associatif d’utilité publique. Nous sommes, je crois, la seule radio à émettre dans certains villages et nous sommes devenus un lien journalier avec des personnes isolées.
Pendant ces 39 ans de bénévolat, j’ai pris un grand plaisir à faire partager ma passion musicale avec différents amis musicologues. Nous faisions des émissions avec leurs passions que ce soit la Reggae, le Blues, le Jazz, le Rock& Roll, le Disco, le Punk – non pas le Punk ! etc... Des concerts « Lives » spécifiques à ces styles musicaux, dont j’avais les vinyles 33 tours, furent diffusés.
Puis vint le moment où il a fallu évoluer car R.D.B est à la disposition des différents acteurs du territoire et elle est également un relais d'informations indispensables en participant activement à la dynamique et à la promotion du territoire.
C’est là que j’ai décidé de faire une émission tous les samedis matin « Samedi, Sports, Loisirs » avec des amis, tout autant passionnés que moi, pour favoriser la solidarité avec le développement local et ceci et avec les différents acteurs du territoire : les Offices de Tourisme, le monde associatif, les différentes Communes et le Communautés de Communes, etc...
Nous mettions aussi en avant toutes les manifestations culturelles qui se produisaient dans notre région ainsi qu’un relationnel important avec, entre-autres, l’Arche des métiers du Cheylard pour la présentation de toutes leurs actions culturelles et scientifiques.
Nous animions aussi avec des spécialistes des informations sur l’état de la planète, l’environnement et la protection de la nature.
Au niveau musical, nous organisions des émissions en organisant des interviews de musiciens qui se produisent en live dans nos émissions et nous faisions des émissions spéciales lors de Festivals avec des interviews et des reportages. Rappelons-nous aussi que pour la fabuleuse organisation du Village des Musiciens cher à Georges et à Vincent, nous prenions l’antenne tous les jours à 11 heures et pendant une heure de direct nous recevions tous les musicos (plus ou moins frais le matin) pour promouvoir leurs spectacles…
Toutes mes émissions se sont déroulées en direct car je pensais avoir plus de spontanéité et cela me permettait, en étant sur la console de mixage de mettre la bonne musique que je plaçais judicieusement en fonction des sujets abordés.
Comme je suis en train de faire un retour en arrière et avec le recul, je pense que les meilleurs moments que j’ai passé en animant ces émissions, ce fut incontestablement les rendez-vous hebdomadaires que j’avais avec mon ami Feu Christian Giroux, botaniste, auteur, enseignant, gastronome « sauvage », marcheur de la découverte… C’était un immense plaisir de converser avec cette personne qui avait de très grandes connaissances dans tous les domaines : en sciences naturelles, bien sûr mais aussi en géologie, en philosophie, en histoire, en musique bref un homme à la très grande culture, un puits de science.
Tous les rendez-vous, qu’ils aient été en direct dans les studios ou par téléphone vers la fin de sa vie, n’étaient jamais préparés et nous improvisions sur tous les thèmes d’actualité. Jamais notre Christian n’était pris au dépourvu. Tous les auditeurs étaient intéressés par ses interventions très naturelles dans tous les domaines.
Selon moi, la musique représente tout ce qu’il y a de plus beau à connaître, à exprimer, à découvrir, à écouter, mais aussi à contempler. Une chose est claire : la musique rend nos vies plus colorées. Alors que nous sommes facilement ancrés dans nos rituels quotidiens, la musique garantit des échappées multiformes, variées et passionnantes. Le simple fait d’écouter nos chansons préférées produit les hormones du bonheur.
Tout cela j’ai pu l’exprimer en partageant ma passion musicale dans mes animations à la Radio et ceci jusqu’en 2021.
Jean-Guy Gansoinat
Septembre 2023