En cette période incertaine et morose, et même inquiétante provoquant chez moi une baisse de moral je n’ai pas trop le goût de regarder la télévision, et aucune envie de perdre mon temps à m’endormir devant l'écran, sur des bluettes cinématographiques ou des gaudrioles d’émissions de variété.
C’est ainsi que par hasard et sur la chaîne « Arte » je suis tombé sur une émission culturelle qui parlait des monuments aux morts dans notre pays. Le sujet était traité en détail et de façon exhaustive avec pléthore de reportages sur des monuments divers et variés. Certains très artistiques et très riches, d’autres plus modestes, et même un peu naïfs mais tous pleins de sens et d’intérêt.
Et je me suis fait malgré moi la réflexion que le monument auquel je me réfère et auquel je suis attaché, mon monument aux morts à moi, c’est celui qui se trouve vers la montée au cimetière à Saint-Martin-de-Valamas.
Pourquoi cet attachement ? Je n’ai pas la réponse exacte. Mais à la réflexion je me suis dit que je ne dois pas être le seul, et même que dans chaque village il y a un monument aux morts auquel les gens de la commune s’identifient, un monument qu’ils se sont appropriés et auprès desquels ils se retrouvent collectivement, pour des commémorations ou simplement pour venir y méditer.
L’endroit où ils se recueillent le mieux, le plus intensément, en accord avec eux-mêmes et les personnes qui les ont précédées, en harmonie avec leurs souvenirs d’enfance et de leur famille. Avec la mémoire collective du village.
Mon monument aux morts à moi, c’est celui-là.
Il y en a dans tous les villages… Certains autres monuments sur le territoire français sont mieux ouvragés, les sculptures plus fines, les allégories plus riches, les personnages dans les scènes martiales représentées plus nombreux. Entre différents thèmes qui y sont traités : drapeaux, armes, batailles, mitrailles, blessures, personnages consolateurs à caractère religieux ou familial.
Mon monument à moi représente un soldat blessé drapeau sur l’épaule, fauché par le feu ennemi.
Représentation un peu naïve du combat inégal entre un porte-drapeau et une mitrailleuse qui le prend pour cible. La sculpture est massive et bien dessinée, rien ne manque à l’uniforme du fantassin, les proportions sont bonnes et l’attitude du soldat qui vient d’être touché est cohérente.
C’est « mon » monument aux morts.
Je n’en imagine pas d’autres et j’y suis attaché.
D’aucuns vont se dire que c’est des idées macabres et bizarres que voici exposées, mais en réfléchissant ils vont se rendre compte aussi que c’est aussi « leur » monument aux morts à Saint-Martin-de-Valamas et qu’il a plus de signification pour eux que n’importe quel autre monument sur le territoire, fut-ce la tombe du soldat inconnu sous l’arc de triomphe.
Les souvenirs de toutes les célébrations et commémorations auxquelles ils ont assisté dans cet espace, le lien que cela a créé avec leurs prédécesseurs y est sans doute pour beaucoup. Et l’emplacement de ce monument, proche de l’entrée du cimetière leur remet sûrement en mémoire les défunts qu’ils ont plus récemment accompagnés et ajoute de la densité à leurs pensées personnelles et à leur recueillement.
DE LA PETITE HISTOIRE A LA GRANDE HISTOIRE.
ET AUSSI UN PEU DE GEOGRAPHIE.
La presque la totalité des noms qui sont gravés sur les plaques fait référence aux morts de la guerre de 14/18. Leur nombre est impressionnant pour un si petit village et fort heureusement les guerres qui ont suivi la seconde guerre mondiale et les guerres d’Indochine et d’Algérie n’ont pas provoqué de telles hécatombes.
Et cela appelle quelques réflexions personnelles : sur les plaques beaucoup portent les mêmes noms de familles. Et même si leurs familles n’avaient pas de liens de parenté, n’étant pas descendantes des mêmes branches on peut y noter beaucoup de patronymes régionaux, et peut-être même locaux. (vous irez voir vous même lire les plaques pour le constater). Pour avoir visité des monuments aux morts dans quelques villages de la Loire ou de l’Isère j’ai pu noter les mêmes similitudes de noms très communs dans certains villages et ne figurant pas dans d’autres, éloignés d’à peine 10 kilomètres.
Et tous les noms de ces jeunes soldats sont d’origine française. Au début du XX ème siècle nos régions enclavées n’avaient pas encore été touchées par les phénomènes migratoires survenus par la suite, apportant d’autres patronymes.
Au moment de la grande guerre la population françaises était essentiellement rurale et agricole et je me demande souvent ce qu’ont pu ressentir ces jeunes cultivateurs ayant quitté leurs « chambas » d’Ardèche pour être mobilisés dans une guerre qu’on leur promettait « fraîche et joyeuse », partis la fleur au fusil pour se retrouver dans des champs « de bataille » du nord de la France à être fauchés eux-mêmes avant d’avoir pu comprendre ce qu’ils faisaient là et ce qu’on attendait d’eux.
Je suis souvent allé vers ce monument aux morts pour promener mes petits-enfants. J’en profitais pour leur expliquer le sens de l’histoire, la chronologie des guerres, et leur parler de la folie des hommes qui les provoquent. Et leur faire déchiffrer les noms gravés sur les plaques au moment où ils apprenaient à lire à l’école.
Et je suis bien certain que je ne suis pas le seul à l’avoir fait.
Ces noms et ces histoires nous lient collectivement à notre village et à nos aînés. Les régiments de l’armée française au début de la grande guerre étaient composés de « pious-pious » qu’on regroupait ensemble dans les casernes par régions d’origine.
Pour terminer ce petit mot un peu triste je vous joins une photo de 4 jeunes de Saint-Martin de Valamas qui doit être datée de 1916. Sur l’image, quatre jeunes gens revenus au pays et photographiés ensemble avec comme légende écrite à la main sur la photo « les rescapés de l’Argonne »… ça laisse un peu d’espoir que la grande guerre n’ait pas décimé tous les jeunes du village. Les noms des manquants sont eux, hélas, gravés sur les plaques de notre monument aux morts…
Sur la photo se trouve mon grand-père maternel.
Et peut-être quelque parent à vous ?
Georges Verat