« L’espérance est une vertu héroïque. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prenaient faussement pour de l’espérance. »
Bernanos - La Liberté pour quoi faire ?
Episode 3
Que puis-je pour toi Jo ? lui lança le colosse qui pourrait être son père et qui souvent avait l’impression d’en assumer la charge. Mon colonel vous n’êtes pas sans savoir que nous serions incapables de soutenir un siège ou une attaque frontale avec le niveau de munitions où nous sommes, je me demandais donc s’il ne serait pas opportun de lancer quelques raids d’approvisionnement. Le Colonel fit la moue, il savait que Jo avait raison mais il rechignait à ces raids, toujours incertains et dangereux, qui obligeaient ses troupes à des incursions très loin dans les lignes ennemies et à un repli lent et vulnérable avec le surplus de munitions à ramener. Avant, avec le soutien aérien des réguliers du nord ce n’était déjà pas une partie de plaisir, mais maintenant qu’ils étaient laissés à eux même c’était quasiment suicidaire. Je sais Colonel continua Jo, que vous n’aimez pas cette idée, mais nous leur avons fait très mal ces trois derniers mois et ils finiront par savoir où nous sommes, trop de gens le savent, il n’est pas possible qu’ils ne soient pas déjà au courant. Nous sommes 650 guerriers organisés en 4 sections, je suggère que nous fonctionnions par relais successifs pour protéger le repli de la section qui aura attaqué l’ennemi. Valence est aux mains de ces extrémistes chrétiens venus de Grèce pour renforcer les troupes de La Croix Flamboyante. Nous avons appris de sources relativement fiables qu’ils avaient reçus énormément d’armes et de munitions des mormons américains pour attaquer et faire reculer les milices chiites. Je vous propose une attaque discrète et fulgurante avec 3 chemins de replis différents. La section 1 évacuera par le fleuve et emmènera sur des barges semi immergées les caisses de munitions pour armes légères. Il nous en reste suffisamment et ils s’échoueront sur les îles à hauteur de Charmes sur Rhône, Là des sympathisants drômois les monterons et les planquerons dans des caches pré-aménagées au col de Rotisson. La section 2 repartira comme elle est venue avec des transports routiers et tout l’armement plus conséquent dont nous avons besoin pour soutenir un siège. La section 3 elle sera là pour servir de couverture et si on se fait accrocher pour retarder ces putains de papistes. La section 4 sera positionnée sur des contreforts rocheux à hauteur de Saint Julien Le Roux pour servir de point d’appui a à la section 2, puis à la section 3 si elle doit mener des attaques de diversions en bas. Si l’attaque est un succès de discrétion, alors la section 3 se repliera par la vallée de l’Eyrieux et en profitera pour créer un point chaud à la mosquée des Ollières. La section 2 remontera par Vernoux et St Julien Labrousse. Vous en dites quoi ? Le colonel se gratta la tête, décidément il n’aimait pas cette perspective, mais il devait reconnaître que le plan était plutôt bien monté et suffisamment vicieux pour réussir, mais il voyait deux ou trois améliorations possibles. Au demeurant il était assez fier de son poulain, mais pas question de le lui montrer. Après s’être gratté la gorge il lui asséna : Il restera plein de détails à régler et de scénarios à échafauder car plein de choses peuvent mal se passer, mais cela a l’air jouable si vous n’avez pas peur de tout risquer sur ce coup. Leylla qui avait suivi son chef regarda le colonel et haussa les épaules, elle fit demi-tour et murmura dans sa barbe, c’est une vie de merde et de toute façon on n’en sortira pas vivant, alors autant s’amuser un peu. Ce cynisme glaça le sang du Colonel, il savait bien que 80% de ses jeunes gens ne verraient pas le nouvel an 2038, l’Esperance de vie dans les corps francs BLPR était en moyenne de 18 mois, ce qui le sidérait encore c’était la régularité avec laquelle d’autres venaient remplacer ceux qui tombaient au combat. Il fit un tour de vue du Local et remarqua Jean Antoine Traboulet, petit sec comme un coup de fusil, compagnon de la première heure, on ne sait pas vraiment quelles sont ses motivations, il se mêle rarement aux discussions politiques sans fin qui égaillent nos soirées, mais c’est un guerrier froid calculateur avec une seule devise, le seul bon combattant est un combattant vivant. Leurs regards s’accrochent et Jean Antoine acquiesce de la tête. En tournant son regard il aperçoit Alexandre Vials, alors lui c’est autre chose, fervent catholique il a toujours défendu que le seul vivre ensemble possible, dans le respect mutuel, est celui de la laïcité. Il est plus âgé que la moyenne car il a une cinquantaine, c’est le comptable de l’équipe et le fourrier en somme. Quand son regard accroche celui du colonel, il sourit, ce qui vaut un accord pour lui car il ne sourit que quand on lui annonce un arrivage quelconque de marchandises. Les meneurs ont commencé à se rapprocher et à former un cercle autour de Jo et du Colonel. Leylla elle, sûre qu’il y aura de l’action et qu’elle pourra assouvir un peu plus de son besoin de vengeance, est partie se coucher sans faire de bruit et à simplement touché l’épaule de JO en partant comme pour lui transmettre sa confiance et ses attentes.
La discussion sur les détails dura toute la nuit, ils essayèrent d’envisager tous les cas de figure, comme disait le Colonel, tous les ratages possibles. Quand ils arrêtèrent, faute d'idées à développer, le jour pointait son nez.
Jo sorti pour pisser. Il adorait le paysage, cette vallée de l’Eyrieux et le soleil qui se lève derrière le bourg du Cheylard. Ce pays des Boutières qu’il a toujours habité, il ne s’en lasse jamais. Mélange de rochers et de forêts de montagnes bien rondes et d’à pics déchirés comme par des griffes géantes, le tout trempé de mille sources et rivières volcaniques. Un pays dur et doux à la fois, un peu comme les gens qui l’habitent depuis la préhistoire…(suite au prochain numéro)
Louis Lévêque