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  • ruedespuces n°30

                   

                  MAI 2021

  • Editorial n° 30

    Depuis que la science a mis au point des vaccins qui nous offrent des perspectives de retrouver bientôt une vie « normale » notre envie est grande de retrouver les terrasses du Bar des pêcheurs, du Bar de la place ou de la Glycine.

    Il y a un an, confinés, contrôlés, atestationés, pas encore complètement masqués mais distanciés, nous pouvions apprécier une nature heureuse de pouvoir vivre sans les contraintes infligées par notre « civilisation ». Certains esprits naïfs espéraient un monde d'après différent, plus respectueux de la nature et plus solidaire. Entre temps nous semblons avoir oublié « ces héros soignants ou même ces héros du quotidien que sont nos caissières de super marché et nos éboueurs. » ou « ces gens transparents du quotidien. » comme l'écrivait à l'époque un de nos fidèles contributeur. Nous aspirons surtout à bien vite retrouver notre monde d'avant. Ce monde où l'on pouvait sans crainte se rencontrer, se serrer la main, s'embrasser, faire la fête mais aussi nous avons hâte de retrouver ce monde de destruction de notre environnement par une soif irresponsable de consommation.

    Quelques uns, habitants des villes semblent vouloir se rapprocher de la campagne. La tranquillité ainsi que les prix de l'immobilier rendent notre région attractive. Espérons que cette tendance persiste et que de nouveaux habitants viennent repeupler nos campagnes.

     

    Dans ce numéro : Outre les tribunes habituelles, deux articles sont consacrés à l'après pandémie, un à la randonnée. On parle aussi de pêche et on donne des nouvelles de la commune. La série sur le tourisme continue avec, cette fois des excursions sur le Mézenc. On trouvera également les solutions aux anagrammes et aux contrepèteries.

     

    Bon déconfinement et bonne lecture.

    François Champelovier

  • Joies et peines d'une randonneuse

    Nous sommes le vendredi 23 avril, une journée radieuse, ciel bleu, petits nuages blancs, ce sont les vacances scolaires et je passe le troisième confinement imposé depuis un an à Saint Martin de Valamas. Le bonheur! Plus jamais un confinement de longue durée dans la vallée du Rhône. C'est ce que je m'étais jurée au printemps 2020. 

    Promesse tenue. 

    Au tout début d'après-midi , je commence donc l'ascension vers Brion et le Ranc Duestre. Plusieurs personnes m'ont parlé de ces sites, et je suis tout excitée à l'idée de les découvrir. En effet, je connais si peu de choses autour de Saint Martin. Nous sommes souvent venus mais avons travaillé la plupart du temps pour rénover notre petite maison. J'ai très envie de combler mes lacunes.

    La carte m'enseigne que la montée depuis le pont traversant l'Eysse en face de la rue des puces est vraiment très raide. J'opte donc pour la balade proposée sur un dépliant par l'office de tourisme. On passe par quelques endroits de Saint Martin. 

    J'aime bien l'ambiance de la rue des jardins, le pont Courion et le sentier bien vert parallèle à l'Eysse. C'est bucolique. Traverser Albagnas me renvoie à une autre balade. Je connais, je suis contente de reconnaître.  

    Voilà la D 237, le pont sur l'Eysse et la direction du Trenc – je suis sur le bon chemin, même si je marche encore sur du goudron. Brion m'attend à un peu plus de 4 km. Une voiture blanche descend. Le conducteur fait coucou avec un grand sourire. J'aime bien les gens d'ici. Toujours un bonjour, même si on ne se connaît pas. 

    La route se transforme en sentier et ça grimpe. Ça grimpe même fort à travers la forêt, une bonne raison pour m'arrêter de temps en temps et regarder autour de moi. Plus je monte, plus la colline derrière moi se dessine entre les arbres. Mais c'est la Romane! Oui, je reconnais la maison du docteur juif, la bergerie. C'est un petit événement clé de pouvoir situer certains endroits dans le paysage. Je me sens un peu plus chez moi dans ces montagnes à hauteur humaine que j'aime tant. 

    Voici un pré d'un vert printanier bien prononcé couvert de coucous jaunes, baigné de soleil. Voilà un ruisseau qui descend en sautillant sur les pierres se dépêchant de suivre un appel d'en bas. Le sentier étroit se faufile entre les arbres comme une corde accrochée plus haut. Quelle belle balade! Le dénivelé important ne m'empêche pas d'avancer assez vite tout en soufflant comme une locomotive à vapeur.  Encore plus haut, encore pus loin. L'ambiance des lieux, la beauté du panorama me remplissent d'énergie et de bonheur. 

    D'un coup, l'ascension s'arrête. Je tombe sur un très large chemin de terre venant de droite, presqu'une sorte de route. Serait-ce déjà le GR? Je regarde la carte. Non, il se trouve plus haut. En plus, la chose n'a pas vraiment l'air d'un GR qui à l'origine n'accueille  pas de très gros engins, ce que les traces par terre semblent par contre indiquer  ici.  De toute façon, cette grosse artère de la forêt prend la même direction que moi, je suis donc obligée de la suivre, même si cela ne m'enchante guère. Le charme est rompu. J'espère le retrouver un peu plus loin. 

    Sauf qu'un peu plus loin, je m'arrête.

    Je n'en crois pas mes yeux. 

    Je me dis que c'est une erreur, un oubli.

    Que ce n'est pas possible. 

    Je n'ai jamais vu une chose pareille.

    Pourquoi dévaster un endroit d'une façon aussi brutale, irrespectueuse, radicale? 

    coupe rase.jpg

    Je ne m'étais pas trompée. C'est bien une machine qui a emprunté la grande artère de la forêt, la piste forestière. Elle est venue abattre des arbres, beaucoup d'arbres, faire une coupe rase. Les grumes ont trouvé employeurs ; par contre, tout ce qui ne rentre pas dans les paramètres et diamètres voulus gît pêle-mêle par terre: un champ de bataille de branches plus ou moins longues, plus ou moins épaisses, avec plus ou moins d'aiguilles, des troncs délaissés et tout cela tellement enchevêtré et dense qu'on ne peut plus y mettre les pieds. Ici et là, une petite tige timide pointe son nez vert à travers cette énorme tache d'un gris terreux, couleur qui témoigne du fait que tout cela s'y trouve tel quel déjà depuis un bon moment. Des mois? Un an? Plus? 

    Je m'assois. 

    J'ai envie de pleurer. 

    Ce n'est pas le lieu pour discuter des coupes rases. Il faudrait plusieurs ruedespuces pour en débattre. Je me pose néanmoins des questions. Pourquoi laisser ces endroits exploités à l'état d'une décharge? Pourquoi autant d'indifférence, de négligence? Avant que la nature reprenne ses droits, le feu pourrait y trouver tous les ingrédients d'un joli festin pour poursuivre son œuvre dévastatrice avec une vigueur bien nourrie – par l'homme. 

    D’ailleurs, avec quoi fabrique-t-on les granulés des poêles à granulés? Je pensais que tout ce qui ne fournissait pas de belles planches allait fournir ces précieuses granules pour tous ces poêles qui nous sont vendus comme chauffage écologique. Apparemment, ce n’est pas le cas, car ce que j’ai sous les yeux n’est certainement pas une exception.  

    Nous sommes entourés de laideur à tant de niveaux et à tant d'endroits, même si Saint Martin en est encore assez préservé. Pourquoi accepter cette blessure pas nettoyée de plusieurs mois au moins dans une nature si belle, enchanteresse, libre? Pourquoi tout soumettre aux calibres des machines? Nous ne nous sommes tout de même pas abaissés autant que cela, non? Si?

    Mon chemin vers Brion et le Ranc Duestre se poursuit en laissant la coupe rase derrière moi. Il m'enchante, me saisit par ses panoramas grandioses. Mais ce n'est plus pareil. La joie innocente du départ m'a abandonnée, et ne connaissant pas cette partie de la montagne, je me demande quand je vais tomber sur un autre lieu dévasté. En descendant une sente agréable qui permet d'admirer le Mézenc, le Gerbier et toute une ligne de montagnes qui dessinent leurs ombres à l'horizon au soleil couchant, j'aperçois sur le versant à ma gauche la coupe rase de tout à l'heure. Je connais maintenant son aspect, je vois des choses que je n'aurais pas vues si je ne l'avais pas contournée. Rageuse et triste, je détourne mon regard pour ne pas me laisser complètement gâcher la fin de la balade. 

    J'aimerais faire quelque chose! Mais quoi? Je rentre ravie et désemparée. 

    Christiane Behnke