Je suppose que si, comme moi, vous avez passé votre enfance et votre adolescence à Crézenoux, ou à St martin, ou dans les environs, vous avez entendu parler patois, vous n'avez sûrement pas oublié cette langue locale issue de l'occitan. À vrai dire c'est de l’occitan, qui a des variantes selon les régions, les cantons, les départements.
Dans nos campagnes, dans les années 50 /70, tout le monde parlait patois, et même encore aujourd’hui beaucoup le comprennent. Nous avions tous une grand-mère, un grand-père, un oncle, une tante qui parlait patois. Sans parler de nos parents, des voisins et amis de nos parents qui employaient cette langue, qui était en fait leur langue maternelle.
Il existait de nombreuses revues ou publications où se mélangeaient patois et français que lisaient nos grands parents, vous rappelez-vous de « l'Armagna du Père Menfouté » ? Nous attendions sa parution avec autant d’impatience que nos grands parents. Si vous en trouvez dans vos greniers, gardez-les précieusement. Petit proverbe paru dans le numéro 1949 : « Maï fres et véntous rénd lou fermiè renous » (grognon), écriture originale. (Mai frais et venteux, rend le fermier grognon)
Cette langue a peu à peu disparu, d’abord sur la pression des pouvoirs publics, il ne fallait plus parler patois, le français seul devait être parlé dans les écoles, on punissait les enfants qui parlaient patois, parler patois était le symbole d'une ruralité dépassée qui devait disparaître.
À tel point que personne, dans les années 50/70, ne parlait patois aux enfants, on parlait patois entre adultes et jamais aux enfants. C'est pour cette raison que notre génération comprend le patois, mais peu savent le parler. Ceux qui parlaient patois avaient un peu honte de le parler, à tel point que si, dans mon patois mal maîtrisé, j'essayais de parler avec un bon patoisant, il ne me répondait jamais en patois, mais en français. J'ai longtemps cru que c'était en raison de ma mauvaise connaissance de cette langue, pensant que mon interlocuteur ne comprenait pas ce que je lui disais, mais comme ses réponses étaient pertinentes avec mes propos, j'en ai déduit qu'il me comprenait parfaitement, mais qu'il n’osait pas me parler patois.
Le patois était un signe de reconnaissance, sur les marchés, lors des ventes ou achats de bestiaux, les gens parlaient patois entre eux. Encore de nos jours, en Haute-Loire, il n'est pas rare d'entendre les gens parler patois sur les marchés ou entre personnes qui se connaissent. Je pense qu'il en est de même en Ardèche.
En Haute-Loire, le patois est encore vivant, il a même tendance à renaître, grâce au travail de nombreuses personnes, je veux parler entre autres d’Hervé Quesnel qui écrit en occitan, et œuvre pour partager sa passion pour cette langue en enseignant dans les associations la lecture et l’écriture de l’occitan. Il a aussi publié plusieurs articles dans les cahiers du Mézenc ou récemment dans « Les Boutières en Histoire ». On peut aussi parler du travail de recherche et de conservation des chansons de Didier Perre (Chansons et contes de Haute-Loire).
Nous avons aussi au Puy en Velay une école en occitan, la Calendreta où les enfants suivent une scolarité normale en maternelle et élémentaire avec l'occitan comme langue principale.
Il y a aussi de nombreuses associations qui, pour garder la langue vivante, organisent des spectacles en patois, essentiellement des pièces de théâtre. À chaque représentation, les salles sont combles : « La Cluchada » au Monastier, « Les amis du patois Vellave » de Saint Germain Laprade, « Les Souvassaïres » d’Arsac-en-Velay. En Ardèche aussi le patois est vivant, il suffit de faire une recherche sur internet avec « Patois Ardéchois » de nombreux sites présentent des textes, des chansons, des histoires et des blagues, ne vous privez pas de les visiter si vous aimez le patois.
Je pense que vous aurez compris que cette langue m'est chère, apprendre à la lire et à l’écrire, m'a permis de mieux la comprendre, il me reste à m’obliger à la parler. Les mots, les conjugaisons ne sortent pas toujours, mais quel plaisir de l'entendre et de la lire.
Si cela vous intéresse, nous pourrions vous proposer quelques textes que nous avons travaillé avec notre association « Vès nosautres » du Monastier, mais aussi d'autres textes anciens ou récents. Notre premier texte est un texte très connu, il s'agit de la fable du corbeau et du renard de Jean de La Fontaine, mais attention, rien à voir avec le texte original, c'est un texte librement inspiré, mais revu et corrigé par notre ami Sosso qui a pour habitude de la réciter et même de la mimer lors de rassemblements amicaux, pour notre plus grand plaisir.
Pierre Berry
Lo gralh e lo rainard
Un còp, sobr’un pibòl, un gralh èra jucat.
Teniá dins son bèc una toma,
Una bèla toma ben faita,
Tot m-un còp, un rainard ven t-a passar :
-« Mès qu’aquò sent bòn, mès qu’aquò sent bòn! »
E de far lo torn delh pibòl :
-« Quò sent la toma, mès d-ont es? »
S’arrèsta, lèva la tèsta,
E veiguèt lo gralh que teniá sa toma:
-« Vèje lo, amont, quelh tetina de gralh,
Mès d-ont a trobat quela toma?»
- « Nom de Dieu ! Sacre gralhàs !
Mès que siàs gente !
Mès quò’s pas possible d’èstre tan gente !
E si ton ramatge se rapòrta a ton plumatge,
Siàs lo feniç d’aquelh boès ! »
L’autre tindorle, amont, l’escoutèt un moment,
Conflava son pitre, e s’esfarfalhava.
Quelh tetinàs, per far veire que chantava bien,
Badèt son bèc, e la toma tombèt.
Lo rainard l’amassèt, sonhèt lo gralh e li diguèt :
-« Monseignor, vos chal saupre que tot
flatteur vit elh despens d’aquelh que l’escòuta.
Quela leiçon val ben una toma, non ? »
Lo rainard l’acampèt e fotèt son camp.
Lo gralh se diguèt un pauc tard :
-« Nom de Dieu, de nom de Dieu,
I tornarèi pus, salopariá de rainard !
Jan de la Font e Sosso de San Jan
Le corbeau et le renard
(Traduction mot pour mot)
Une fois, sur un peuplier, un corbeau était perché.
Il tenait dans son bec une tomme,
Une belle tomme bien faite,
Tout d'un coup, un renard vint à passer :
-«Mais que ça sent bon, mais que ça sent bon! »
Et de faire le tour du peuplier :
-«Ça sent la tomme, mais où est-il ?»
Il s’arrête, lève la tête,
Et voit le corbeau qui tenait sa tomme
-« Regarde-le, là-haut, cet imbécile de corbeau,
Mais où a t-il trouvé cette tomme ? »
- « Nom de Dieu ! Sacré corbeau !
Mais que tu es beau !
Mais c'est pas possible d'être aussi beau !
Et si ton ramage se rapporte à ton plumage,
Tu es le phénix de ces bois ! »
L’autre imbécile, là-haut, l'écouta un moment,
Il gonflait son ventre, en gonflant ses plumes,
Cet idiot, pour faire voir qu'il chantait bien,
Ouvrit son bec et la tomme tomba.
Le renard la ramassa, regarda le corbeau et lui dit :
-« Monseigneur, il faut que vous le sachiez :
Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute.
Cette leçon vaut bien une tomme, non ? »
Le renard l'attrapa et décampa
Le corbeau se dit, un peu tard :
-« Nom de Dieu de nom de Dieu,
On ne m’y reprendra plus, saloperie de renard ! »
Jean de la Fontaine et Sosso de Saint Jean
Texte collecté et réécrit à partir de l'oral
par l'association du Monastier « Vès nosautres. »
On peut voir par la traduction que le texte en français n'a pas la saveur du texte en patois, qui en quelque sorte « chante » mieux.
Savoir lire et prononcer notre langue
Par Hervé Quesnel
Il faut toujours tenir compte de l'accent tonique : quand un mot se termine par une consonne, l'accent tonique est sur la dernière syllabe ; s'il se termine par une voyelle, l'accent tonique se met sur l'avant dernière syllabe.
Quand une voyelle porte un accent tonique (à, á, ò, ó, ú, í), c’est toujours sur cette voyelle-là qu'il faut mettre l'accent : autò, corajós, arcàs, permetiá, dengús, aquí.
-èl se dit /eï/ dans notre canton: chapèl / tsapéï / ; vedèl / védéï / . -lh se lit /y/ : elh /éy/ ; delh /déy/ ; palhèira /payèra/ ; solelh /souléy/. - o se lit /ou/ : lo /lou/ ; lavador : lavadou/ ; trobèt /troubè/ ; dessobre /déssoubre/ ; solelh /souléy/.
- ò se lit /o/ ~ /wo/ : tròp /tro/ ; còp /ko/ ; pòrta /pworto/ ; afòra /afwo’ro/. - al final se dit un peu comme /aw/ : lo mal / lou maw/ ; lo tribunal /lou tribunaw/. - a final se dit un peu comme /o/ : aquela borieta es portada coma palhèira /akèlo bourièto es pourtado koumo payèro/.
Petit lexique de « savoir lire notre langue » :
afòra : dehors
aquela : celle-la
aquí : là, ici
arcàs : entrée de ferme ou d'étable
autò : auto
borieta : petite ferme
chapèl : chapeau
coma : comme
còp : (un) coup ou une fois
corajós : courageux
delh : du (de)
dengús : personne
dessobre : dessus
es : es (du verbe être, èsser)
lavador : lavoir
lo : le
mal : mal
palhèira : chaumière
permetiá : permettait (du verbe permettre)
pòrta : porte
portada : portée
solelh : soleil
tribunal : tribunal
trobèt : Il trouva (du verbe trouver, trobar)
vedèl : veau
Hérvé Quesnel, Pierre Berry,