Afin de ne pas rester enfermés sur notre petit coin d'Ardèche, il est bon de temps en temps de se plonger dans le « grand monde ». Evelyne a des attaches à Saint Martin où elle revient chaque année, elle nous propose de nous conter une promenade dans la capitale.
Le bel endormi
Il existe des lieux insolites, dont Paris a le secret, où le calme et la verdure donnent l’impression d’être isolé du reste de la ville. Perché sur les hauteurs du Nord-Est parisien, l’îlot de « La Campagne à Paris » est un de ceux-là. C’est un lotissement, composé d’une centaine de maisons de ville d’un ou deux étages, sagement alignées le long de trois rues aux pavés luisants et disjoints et dont les courbes sont soulignées par des réverbères qui ont dû connaître le gaz avant la fée électricité. On y accède par quatre ruelles dotées d’escaliers monumentaux et rustiques, à faire pâlir de jalousie ceux de la Butte Montmartre. L’architecture emprunte les colombages et toits pointus à l’Alsace, les perrons et courettes devant les maisons aux cités-jardins londoniennes. En briques ou en meulières, les façades sont recouvertes de lierre, de glycines, de lilas et de roses. Les jardinets sont dotés de poubelles sélectives, de composteurs (car bien sûr ici on mange bio) et des vélos rutilants (électriques de préférence) sont négligemment appuyés contre les murets. Quelques touches de couleurs vives sur les portes, portails et volets égayent la grisaille du ciel. Ce quartier construit dans les années 1920 était à l’origine destiné aux classes modestes. Aujourd’hui se dressent des résidences cossues, très convoitées par de nombreux parisiens aisés.
En cet fin d’après-midi du 31 décembre, je flânai. Le ciel était clair, le fond de l’air vif. Un silence aussi salvateur qu’inattendu m’enveloppa et me fit oublier que j’étais au coeur de la capitale. Pas de voitures... J’avais bien croisé un véhicule de livraisons, mais aucun en stationnement. Aucun ? Si ! Un !!!
Devant la plus imposante bâtisse du quartier bien abritée derrière des grilles occultantes, une berline grise, garée le long du trottoir, faisait tâche dans ce paysage bucolique. En arrivant à sa hauteur, je notai la présence d’un quidam, allongé sur le siège conducteur renversé, assoupi. Scène pour le moins cocasse !!! Qui était-il ? Que faisait-il là ? Cette sieste inopinée était-elle la conséquence d’un repas méridien trop copieux, ou un à valoir sur cette nuit de la Saint Sylvestre qui risquait d’être courte ? Je me souvins alors avoir lu dans la presse qu’en 2017, un ex-président de la République qui avait renoncé à briguer un second mandat, avait décidé d’installer sa nouvelle vie dans ce quartier, protégé de toute urbanisation, aux accents d’irréductibles gaulois.
Tout s’éclaira ! Je glissai un oeil furtif du côté du bel endormi. Le sentit-il ? Il sursauta, ouvrit les yeux et s’aperçut de ma présence. Il se redressa d’un coup, s’ébroua et me jeta un regard hostile et coupable, celui de l’agent de sécurité en faction, pris en flagrant délit de relâchement dans l’exercice de ses fonctions.
Oyez ! Oyez! Braves gens ! N’ayez pas peur ! Ne craignez rien ! Les voleurs et autres fauteurs de troubles n’ont qu’à bien se tenir. La République veille sur vous et vous protège... Enfin presque...
Citadinement votre.
Evelyne Colloud-Chomarat