Pourquoi te retourner ? Le pays que tu quittes
Agonise déjà dans la bise d'hiver ;
Sous les toits enneigés brillent les stalactites
Et chargé de cristaux, le sapin n'est plus vert !
Pourquoi te retourner ? Les fleurs de givre seules
Scintillent sur la vitre où l'éclat du jour meurt.
Des champs pétrifiés ont disparu les meules...
La terre et le ciel bas confondent leur blancheur.
Pourquoi te retourner ? Géants sans voix, les dykes
Ne te font-ils plus peur dans les ombres du soir ?
Dressé sur son piton de laves basaltiques
Ton village natal a-t-il tant de pouvoir ?
Pourquoi te retourner ? La haut la circaète
Vole rapidement au-dessus des rochers.
Je te dis qu'il pressent l'imminente tempête !
Il cherche la falaise aux repaires cachés...
Pourquoi te retourner ? Vois ! Les congères fument...
Elles veulent sans doute empêcher ton départ...
sous les fers des chevaux, les lueurs qui s'allument
Annoncent le verglas. N'est-il donc pas trop tard ?
Ne te retourne plus ! Fuyons vers les vallées...
La-bas pleuvent les fleurs en guise de flocons !
Ici, déferleront encor les giboulées
Qui frillent les crocus éclos sur les balcons.
Hélène Cheynel (L'herbier du temps)