L’actualité du moment ne manque pas en sujets brûlants ou prégnants, mais c’est finalement une suggestion de François, le sujet de cet article, un sujet assez banal mais qui a son histoire : le pont Courion.
Un pont bizarre, flanqué là au-dessus de l’Eysse, un affluent de l’Eyrieux, et qui résiste aux crues lors des épisodes dits Cévenols !
Mais est-ce vraiment un pont ou une passerelle ?
Cet ouvrage dénommé localement « pont Courion », est connu de quelques Saint-Martinois. Pourtant, si proche et si visible, il suffit de se pencher de quelques fenêtres du bourg pour l’apercevoir au bas du Village de Saint-Martin.
Par le passé, ce pont desservait des terres agricoles exploitées sur sa rive droite, à proximité du bourg.
Dans les années d’après-guerre, les années sixties, il permettait d’enjamber l’Eysse pour aller suivre un match de football en talons aiguilles au pré rond (le pré de M Laurent, industriel dans le textile).
Aujourd’hui, les Saint-Martinois l’empruntent toujours pour réaliser leur jogging, pratiquer le VTT, cultiver un jardin, élever quelques moutons, aller faire brouter quelques chèvres, couper du bois, aller à la pêche si tant est qu’il y ait encore du poisson, se promener ou flâner.
En été, certains empruntent la même calade défoncée qui mène tout droit au pont, et vont rafraîchir leurs pieds ou vont piquer une tête dans un trou d’eau, malgré la rareté de celle-ci en période estivale.
Au court de l’année, les enfants du centre aéré le traversent pour aller jouer dans les prairies avoisinantes ou, à l’automne, goûter les châtaignes cuites au feu de bois, sur cette rive droite de l’Eysse.
Si peu s’intéressent à son nom, car il est nulle part indiqué, désigné, sur aucune carte, sans signalétique, seule la carte IGN mentionne son altitude de 523 m mais ne le nomme pas. De même sur les cartes postales anciennes que j’ai pu consulter (le quartier a très peu été photographié) le pont reste invisible. N’en vaut-il pas la peine ?
Ci-dessous, le quartier Sauvayre et sa calade représentés sur carte Napoléonienne de 1840
Pour tout cela, j’ai voulu connaître un peu mieux son histoire et c’est ainsi que je me suis rapproché de Pierre Moulin qui a construit la troisième pile du pont et son dernier tablier, dans le courant de l’année 1990.
Pierre qui est un ancien entrepreneur de maçonnerie m’a reçu chez lui, ce 07 novembre 2020. Nous nous sommes installés sur sa terrasse qui offre une très belle vue sur le bourg, car le temps était clément par le vent qui avait viré au sud. C’est un artisan qui sait l’art de la maçonnerie. Il a à son actif plusieurs maisons du village et alentour.
Tout de suite, Pierre s’est souvenu de ce qu’était le pont à son début, de ce que l’on pouvait dire à une certaine époque, de ce que la mémoire retient.
Ce pont était, me dit-il, initialement une passerelle, qui permettait de franchir, à sec, l’Eysse. Les gens du Bourg, allaient cultiver leur jardin et/ou amenaient les bêtes, sur sa rive droite. Depuis quand était-elle là ? il reste difficile de le dire mais cette pratique était bien souvent utilisée à d’autres endroits.
A cette époque, les terrains étaient dégagés, organisés en terrasses, une béalière permettait l’arrosage des prés et des jardins. Dans ce quartier, il en existait d’ailleurs sur chacune des rives, elles devaient se partager l’eau à égalité sur ce que prenait la première.
Des maisons, aujourd’hui en ruine, étaient implantées sur le flan de la montagne, et les propriétaires d’alors cultivaient les céréales. Quand leur production était insuffisante sur leur terre, ils venaient se ravitailler au Bourg en franchissant la passerelle et rendaient cet emprunt l’année suivante.
Cette passerelle était constituée, selon toute vraisemblance, de rondins de bois maintenus ensemble. Elle était arrimée à un bord, coté Bourg, et s’effaçait lors des crues Cévenoles. Les villageois réinstallaient la passerelle à l’aide de cordages lorsque la situation redevenait normale.
En 1935, un cordonnier, nommé M Courion, qui habitait le bourg, vint se plaindre à la Mairie auprès du Maire, Clément Ribes (mandat de 1935-1944), pour lui demander un pont en béton en lieu et place de la passerelle.
Son motif était qu’il cultivait un jardin situé sur la rive droite juste en face de la passerelle, et qu’un pont faciliterait la traversée de l’Eysse. D’où le nom de ce pont qui lui a été attribué.
C’est ainsi que la Mairie fit construire le premier tablier du nouveau pont !
Celui-ci est fixé sur la culée de la rive gauche, un mur de soutien des terres. A l’autre extrémité, il est solidement relié à une pile encrée sur le rocher, existant à cet endroit. Ce premier tablier est constitué de béton vraisemblablement armé enserré par deux IPN métalliques installés sur sa longueur, bien visibles encore aujourd’hui. Un deuxième pilier et son tablier furent construits également et prolongèrent le pont.
Viendra ensuite dès l’année 1990, sous le mandat du Maire Régis Fayard (mandat de 1977-1995) la construction d’un troisième pilier et de son tablier. Cette construction s’ avérera plus délicate, car le rocher ne put être trouvé et une embase particulière de ce nouveau pilier fut réalisée.
Plus récemment, et suite à l’agression d’une crue ravageuse, le terrain de la rive droite fut emporté pour partie, l’eau ayant excavée le sol meuble, composé de gravier et de pierres roulées certains diraient « le chauvert ». Des travaux de rebouchage furent à nouveau entrepris.
Ci-dessous, le pont Courion lors de la crue du 19 octobre 2019
Puis fut décidé une nouvelle fois, le prolongement du pont qui consista à remplir de béton l’excavation formée par une nouvelle crue. Mais du même coup, ce prolongement différait du principe de construction du pont : un pilier et un tablier. Ainsi, ce prolongement n’autorise plus le passage de l’eau lors d’une crue, mais constitue un barrage. Ainsi, les prochaines crues iront certainement rechercher plus loin encore la zone de plus faible résistance.
En résumé, que peut-on dire de ce pont submersible qui a tenu 90 ans ?
Ce pont en béton est implanté sur sa rive gauche sur du rocher, stable, et sur sa rive droite sur une zone meuble, instable. L’ensemble tient, mais nécessite des travaux de rénovation réguliers après le passage des crues.
Lors des crues, ce pont est submergé et devient inutilisable, infranchissable. L’eau s’écoule par-dessus et par-dessous les tabliers. Le lit de la rivière vient flirter avec les terrains agricoles.
Les IPN qui composent les travées absorbent les chocs causés par les blocs de pierre qui roulent dans le courant torrentueux. Aujourd’hui, les arbres deviennent néfastes pour ce pont et au-delà, pour tous les ponts et les ouvrages d’art.
Ce pont en béton reste jeune, né en 1930, il n’a pas 100 ans. On ne peut donc lui attribuer sa tenue pour une crue millénale.
Le pré rond, proche de ce pont, est un no man’s land aujourd’hui, le bois a été coupé, les buissons gagnent. Il offre un très beau point de vue sur le village.
De ce bel endroit accessible avec le pont Courion n’y aurait-il pas de projets ? Serions-nous endormis ? empêchés que nous sommes entre budget insignifiant et pessimisme ambiant.
Nous souhaitons accueillir du tourisme, donner envie de rester dans ce pays. Mais que proposons nous à ces gens d’ailleurs et à nous même ?
Pourquoi ne pas imaginer un aménagement discret, simple, correspondant aux besoins du moment, pour cette nouvelle génération de jeunes tournés vers la nature comme de ces seniors en quête de tranquillité.
Un lieu où l’on pourrait s’activer, faire du sport de plein air, comme établir un parcours sportif dédié, une aire de skateboard, ou encore une zone de cyclo-gym, et pourquoi pas une promenade au bord de l’eau pour les rêveurs.
Examiner sa faisabilité au regard des crues possibles et des aspects techniques, du budget à obtenir. Sans oublier d’intégrer les chemins dédiés piétons et cycles qui existent déjà et que l’on nomme comme par désenchantement « les chemins oubliés ».
Terminer sur une note d’espoir, n’est-ce pas beau ? une façon comme une autre de justifier ce pont Courion, de son utilité !
Je remercie bien amicalement, Pierre, pour sa contribution.
A Saint-Martin de Valamas, ce 08 novembre 2020. Confiné.
Texte écrit et illustré par Alain Roméas
Pont Courion après la crue
Pont Courion après réparation
Ces deux photos ont été prises par François Champelovier