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  • Excursion ou expédition ?

    L’excursion du Club alpin français au Mézenc (ruedespuces n° 30) était savamment préparée et un article du Journal d’Annonay du 30 juillet 1881 donnait quelques détails pratiques pour ceux qui y participeraient. Les deux caravanes de l’excursion étaient « annoncées comme devant être nombreuses » mais ne comportaient probablement pas de femmes.

    Même si le Club avait annoncé, dès le début, sa volonté d’intégrer les femmes, elles ne représentaient que 1% en 1876. Le club de Haute Tarentaise, par exemple, n’a accepté l’adhésion d’une femme qu’en 1883. A signaler que George Sand signe un article, « Souvenir d’Auvergne », dans le premier annuaire publié par le Club alpin français, en 1874. Elle a été membre du club, avec son fils, jusqu’à sa mort en 1876.

    Des préconisations ont parues dans le même journal :

    Les membres devront être « munis de leur insigne d’alpiniste » pendant toute la durée de l’excursion. Les cartes d’état-major à utiliser sont précisées et il est aussi proposé de consulter le guide Joanne France-Auvergne-Morvan-Velay-Cévennes.

    Il est aussi conseillé de ne prendre « que le strict nécessaire pour la durée de l’excursion en fait de bagages, afin de ne pas trop charger les voitures et de faciliter les mouvements des caravanes. Un pardessus, ou un plaid imperméable sont nécessaires pour cette excursion dans laquelle ont peut être surpris par les orages et les changements brusques de température ».

    Un équipement scientifique des excursionnistes était possible : « Le thermomètre fronde (Il était fixé à une chaînette que l'on faisait tourner comme une fronde pour obtenir une mesure plus fiable de la température de l'air), le baromètre orométrique (baromètre à cadran et de poche), le podomètre et la boussole peuvent être utilisés pour des observations diverses. »

    Le guide Joanne conseillait les voyageurs sur leur garde robe :  « Pour les vêtements de voyage, la laine est de beaucoup préférable à la toile ; le coutil devient froid quand on a transpiré ou quand on a été mouillé. Avec des chaussettes de laine on n'a jamais d'ampoules. Chacun s'habille à sa guise ; mais de bons souliers, à la semelle épaisse, et garnis de gros clous, sont indispensables pour la marche. »

    Cette excursion que l’on pourrait presque associer à un trek, compte tenu de son organisation et du chronométrage de ses parcours, se doublait donc d’une approche scientifique. Aujourd’hui le randonneur, ou le touriste, est probablement moins scientifique mais une profusion d’« applis » sur son téléphone portable lui permet de mesurer ce qu’il veut, si l’envie lui prend, avec plus ou moins de précision.

    Mais, à part les excursions, quel était l’emploi du temps d’un touriste ?

    Avant toute chose, la première préoccupation du touriste, quelle que soit l’époque, est de savoir où il va et comment. Il consulte donc probablement un guide touristique.

    A suivre…

    Jean-Claude Ribeyre

     

    1- Un excursionniste devant le Gerbier. Extrait d'une carte postale des éditions E.T. d’Aubenas, bromure Artige. Il existe plusieurs cartes postales mettant en scène le même personnage dans des situations différentes.

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    2 - Affiche publicitaire  « Articles de voyage du touriste ». Émile Lévy éditeur, 1880. Bnf Gallica. Pour comparer avec aujourd’hui : https://www.globe-trotting.com/accessoires-de-voyage.

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  • Et si le monde de demain n’était pas du tout à la hauteur de nos espérances ?

    « L’espérance est une vertu héroïque. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prenaient faussement pour de l’espérance. »

                                                               Bernanos - La Liberté pour quoi faire ?bernanos.jpg

     

    Episode 6 de la Mosaïque du fou

     

    CHAPITRE 3- Momo

     

    Momo était inquiet, cela faisait bien trop longtemps qu’aucune équipe était partie dans les hautes Boutières soit en expédition punitive soit en mission de reconnaissance. La mission partie à la recherche de cette trainée de Leylla qui avait abandonné la foi de ses ancêtres pour vivre avec un Français catho & intello et qui n’était jamais revenue avait marqué un tournant dans son groupe armé.

    L’influence, ou devrions nous dire la main mise, des Bataillons comme ils s’appellent, sur les hautes Boutières pose un certain nombre de problèmes de ruptures d’approvisionnement et de communication. Momo sait bien qu’un jour ou l’autre il devra se réunir avec d’autres Katibas pour y mettre fin. Il sait aussi, d’expérience, que dans ce genre de situation la précipitation n’est jamais bonne conseillère, et les Katiba de la basse vallée de l’Eyrieux qui ont voulu y aller seules, ont appris à leur dépend que ces apostats savent se battre et qu’ils sont bien équipés et organisés.

    Momo est né en Irak en 2013, d’un père Jihadiste français parti se battre en Irak deux ans avant la proclamation du Califat par Daech et d’une mère Française Catholique convertie qui a suivi son barbu de père par amour, après s’être convertie au grand damne de sa famille. Son père avait un parcours de guerrier de l’Islam. Il avait été formé et avait combattu en Afghanistan au côté de Oussama Bin Laden, à cette époque il faisait partie intégrante de l’internationale Djihadiste. Il se battait là ou la politique des groupes armés l’envoyait, d’Afghanistan en Algérie en passant par des périodes de repos et de prière en Arabie Saoudite. Il aurait pu devenir un des bras droits des leaders du mouvement, mais il avait la mauvaise nationalité. Il avait vite compris qu’on appréciait son ardeur au combat, sa foi dans Allah sa connaissance plus que correcte de la langue arabe parlée mais aussi écrite, mais il n’était pas originaire ni du bon pays, ni de la bonne ethnie. Un peu comme dans la Légion étrangère, il pouvait devenir un sous-officier avec beaucoup de responsabilité et de médailles, mais il ne pénétrerait jamais le cercle fermé des officiers, et encore moins des organes de commandement. C’est ce qui l’avait convaincu de revenir en France et d’essayer de se faire oublier au fin fond du 9 trois. Il y rencontra Myriam qui se converti et devint dans le plus grand secret Mariam. Quand les évènements en Irak, suivant la deuxième guerre du golfe, commencèrent, plusieurs de ses anciens compagnons vinrent le chercher et la promesse d’y créer un nouveau Califat, géré suivant toutes les règles de la Charia le séduisit et il partit avec armes et bagages et avec son épouse. La guerre dura longtemps en 2013 il eut un premier fils puis eu deux filles et un deuxième fils en l’espace de trois ans. Il mourut au combat à Falloujah en 2016, Mariam était enceinte de son 4eme enfant. Les Forces Kurdes les firent prisonniers et les internèrent dans un camp. L’état Français refusa de les reprendre et les laissa pourrir dans ce camp, une prison de tentes. Momo parle peu de sa tendre enfance, qui n’avait de tendre que le nom. On sait seulement que son petit frère n’y survécu pas et mourut de dysenterie à 6 mois. Sa mère mourut 4 mois plus tard et on ne saura jamais si c’était de chagrin ou de maltraitance par les gardiens. Peut-être qu’elle est morte de maladie, car aucun médicament n’était disponible dans cette prison, et la moindre infection pouvait être fatale. Momo aurait pu s’enfuir mais il se sentait responsable de ses jeunes sœurs. Dans ces camps la solidarité n’était pas un vain mot et la charité, 4eme pilier de l’Islam (zakât), signifiait qu’on partageait tout y compris ce qui manquait terriblement. Dans ce camp il y avait de nombreuses familles mono parentales, les hommes ayant été tués au combat ou mis dans des prisons plus traditionnelles en attente de leur exécution ou du retour au pays d’origine. 4 ans plus tard en 2021 à l’âge de 7 ans, sachant ses sœurs en de bonnes mains, chez les voisines de tente, Momo décida de se venger et de venger sa mère. Il s’évada et pris la direction du Nord-Ouest pour rejoindre la terre de ses ancêtres français. Depuis leur internement sa mère lui avait parlé de sa grand-mère française qui viendrait les chercher pour les ramener au pays, mais qui ne vint jamais. Le voyage fut très long et périlleux, mais la misère dans les pays traversés était une forme de protection. Momo savait se débrouiller, vivre sur les poubelles des autres et passer totalement inaperçu. Au camp il avait vite compris que les hommes, enfin certains, s’intéressent plus aux petits garçons qu’aux femmes, et que s’il s’y prenait bien il pourrait en tirer un bénéfice financier. Son voyage fut fait de rapines, de prostitution, de charité mais aussi de coups, de viols et de famines. Il réussit finalement à s’embarquer à bord d’un bateau de fortune sur la cote tunisienne en direction de Lampedusa. La traversée qui apparaissait courte sur une carte fut longue et pénible. Le dicton que l’homme est un loup pour l’homme prend toute sa dimension dans ces circonstances. Il a fallu se battre pour arriver à monter dans l’embarcation. Momo convoitait la même place qu’un garçon de 14 ans beaucoup plus costaud que lui. La bagarre fut acharnée sous les rires, quolibets et encouragements des passeurs. A un moment le regard de Momo plongea dans celui de son opposant et Momo vit de la peur. Cela le galvanisa et il essaya d’arracher la carotide du garçon avec ses dents. Devant un tel acharnement le silence s’était fait et ce garçon, dont il ne connaitrait jamais le nom, se retira en courant. La traversée ne fut pas une partie de plaisir, il y avait gros temps, il faisait froid, et il ne fallait pas se faire prendre par les gardes cotes tunisiens, libyens, ou les navires de la force Frontex censés protéger les rivages européens. Ils naviguèrent trois jours et trois nuits, après 24heures ils n’avaient plus rien à manger et après encore une journée plus rien à boire. Les vieillards et les enfants en bas âge moururent en premier, ils furent jetés par-dessus bord. Un bon tiers d’entre eux étaient déjà morts quand l’OCEAN Viking, navire d’une association caritative les récupéra. Ils se pensaient sauvés, mais le bateau ne fut pas autorisé à accoster et une longue attente commença en pleine mer. Ils durent même remplir les réservoirs auprès d’un navire ravitailleur de l’armée française le Var. C’est à cette occasion que Momo qui parlait quelques mots de la langue de Molière put expliquer qu’il était français montrant comme preuve le passeport de sa mère qui ne l’avait pas quitté depuis les camps. C’est ainsi que Momo arriva tout d’abord en Corse puis à Toulon.

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    suite au prochain numéro

     

    Louis Lévêque

  • Matin brun

    Les jambes allongées au soleil, on ne parlait pas vraiment avec Charlie, on échangeait des pensées qui nous couraient dans la tête, sans bien faire attention à ce que l'autre racontait de son côté. Des moments agréables où on laissait filer le temps en sirotant un café. Lorsqu'il m'a dit qu'il avait dû faire piquer son chien, ça m'a surpris, mais sans plus. C'est toujours triste un clebs qui vieillit mal, mais passé quinze ans, il faut se faire à l'idée qu'un jour ou l'autre il va mourir.

    -Tu comprends, je pouvais pas le faire passer pour brun.

    -Ben, un labrador, c'est pas trop sa couleur, mais il avait quoi comme maladie ?

    -C'est pas la question, c'était pas un chien brun, c'est tout.

    -Mince alors, comme pour les chats, maintenant ?

    -Oui, pareil.

    Pour les chats, j'étais au courant. Le mois dernier, j'avais dû me débarrasser du mien, un de gouttière qui avait la mauvaise idée de naître blanc, taché de noir. C'est vrai que la surpopulation de chats devenait insupportable, et que d'après ce que les scientifiques de l'Etat national disaient, il valait mieux garder les bruns. Que des bruns. Tous les tests de sélection prouvaient qu'ils s'adaptaient mieux à notre vie citadine, qu'ils avaient des portées peu nombreuses et qu'ils mangeaient beaucoup moins. Ma fois un chat est un chat, et comme il fallait bien résoudre le problème d'une façon ou d'une autre, va pour le décret qui instaurait la suppression des chats qui n'étaient pas bruns. Les milices de la ville distribuaient gratuitement des boulettes d'arsenic. Mélangées à la pâté, elles expédiaient les matous en moins de deux. Mon cœur s'était serré, puis on oublie vite.

    Les chiens, ça m'avait surpris un peu plus, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que c'est plus gros, ou que c'est le compagnon de l'homme comme on dit. En tout cas Charlie venait d'en parler aussi naturellement que j'avais fait pour mon chat, et il avait sans doute raison. Trop de sensiblerie ne mène pas à grand chose, et pour les chiens, c'est sans doute vrai que les bruns sont plus résistants.

    On n'avait plus grand chose à se dire, on s'était quittés mais avec une drôle d'impression. Comme si on ne s'était pas tout dit. Pas trop à l'aise. Quelques temps après, c'est moi qui avait appris à Charlie que le quotidien de la ville ne paraîtra plus. Il était resté sur le cul : Le journal qu'il ouvrait tous les matins en prenant son café crème !

    -Ils ont coulé ? Des grèves, une faillite ?

    -Non, non, c'est les suites de l'affaire des chiens.

    -Des bruns ?

    -Oui, toujours. Pas un jour sans s'attaquer à cette mesure nationale. Ils allaient jusqu'à remettre en cause les résultats des scientifiques. Les lecteurs ne savaient plus ce qu'il fallait penser, certains même commençaient à cacher leur clébard !

    -Trop jouer avec le feu...

    -Comme tu dis, le journal a fini par se faire interdire.

    -Mince alors, et pour le tiercé ?

    -Ben mon vieux, faudra chercher tes tuyaux dans les Nouvelles Brunes, il n'y a plus que celui-là. Il paraît que côté courses et sports, il tient la route. Puisque les autres avaient passé les bornes, il fallait bien qu'il reste un journal dans la ville, on ne pouvait pas se passer d'informations tout de même.

    J'avais repris ce jour-là un café avec Charlie, mais ça me tracassait de devenir un lecteur des Nouvelles Brunes. Pourtant, autour de moi les clients du bistrot continuaient leur vie comme avant : J'avais sûrement tord de m'inquiéter.

    Après ça avait été au tour des livres de la bibliothèque, une histoire pas très claire, encore. Les maisons d'édition qui faisaient partie du même groupe financier que le Quotidien de la ville, étaient poursuivies en justice et leurs livres interdits de séjour sur les rayons des bibliothèques. Il est vrai que si on lisait bien ce que ces maisons d'édition continuaient de publier, on relevait le mot chien ou chat au moins une fois par volume, et sûrement pas toujours assorti du mot brun. Elles devaient bien le savoir tout de même.

    -Faut pas pousser disait Charlie, tu comprends, la nation n'a rien à gagner à accepter qu'on détourne la loi, et à jouer au chat et à la souris. Brune, il avait rajouté en regardant autour de lui, souris brune, au cas où on aurait surpris notre conversation. Par mesure de précaution, on avait pris l'habitude de rajouter brun ou brune à la fin des phrases ou des mots. Au début, demander un pastis brun, ça nous avait fait drôle, puis après tout, le langage c'est fait pour évoluer et ce n'était pas plus étrange de donner dans le brun, que de rajouter « putain con », à tout bout de champ, comme on le fait par chez nous. Au moins on était bien vus et on était tranquilles. On avait même fini par toucher le tiercé. Oh, pas un gros, mais tout de même notre premier tiercé brun. Ca nous avait aidé à accepter les tracas des nouvelles réglementations. Un jour, avec Charlie, je m'en souviens bien, je lui avait dit de passer à la maison pour regarder la finale de la Coupe des coupes, on a attrapé un sacré sourire. Voilà pas qu'il débarque avec un nouveau chien !

    Magnifique, brun de la queue au museau, avec des yeux marrons.

    -Tu vois, finalement il est plus affectueux que l'autre, et il m'obéit au doigt et à l'oeil. Fallait pas que j'en fasse un drame du labrador noir. A peine il avait dit cette phrase, que son chien s'était précipité sous le canapé en jappant comme un dingue. Et gueule que je te gueule, et que même brun, je n'obéis ni à mon maître ni à personne ! Et Charlie avait soudain compris.

    -Non, toi aussi ?

    -Ben oui, tu vas voir.

    Et là, mon nouveau chat avait jailli comme une flèche pour grimper aux rideaux et se réfugier sur l'armoire. Un matou au regard et aux poils bruns. Qu'est ce qu'on avait ri. Tu parles d'une coïncidence !

    -Tu comprends, je lui avait dit, j'ai toujours eu des chats, alors... Il est beau, celui-ci.

    -Magnifique, il m'avait répondu.

    Puis on avait allumé la télé, pendant que nos animaux bruns se guettaient du coin de l'oeil. Je ne sais plus qui avait gagné, mais je sais qu'on avait passé un sacré bon moment, et qu'on se sentait en sécurité. Comme si de faire tout simplement ce qui allait dans le bon sens dans la cité nous rassurait et nous simplifiait la vie. La sécurité brune, ça pouvait avoir du bon. Bien sûr je pensais au petit garçon que j'avais croisé sur le trottoir d'en face, et qui pleurait son caniche blanc, mort à ses pieds. Mais après tout, s'il écoutait bien ce qu'on lui disait, les chiens n'étaient pas interdits, il n'avait qu'à en acheter un brun. Même des petits, on en trouvait. Et comme nous, il serait en règle et oublierait l'ancien.

    Et puis hier, incroyable, moi qui me croyait en paix, j'ai failli me faire piéger par les miliciens de la ville, ceux habillés en brun, qui ne font pas de cadeau. Ils ne m'ont pas reconnu, parce qu'ils sont nouveau dans le quartier et qu'ils ne connaissent pas encore tout le monde.

    J'allais chez Charlie. Le dimanche, c'est chez Charlie qu'on joue à la belote. J'avais un pack de bières à la main, c'était tout. On devait taper le carton deux, trois heures, tout en grignotant. Et là, surprise totale : La porte de son appart avait volé en éclats, et deux miliciens plantés sur le palier faisaient circuler les curieux. J'ai fait semblant d'aller dans les étages du dessus et je suis redescendu par l'ascenseur. En bas, les gens parlaient à mi-voix.

    -Pourtant son chien était un vrai brun, on l'a bien vu, nous !

    -Oui, mais à présent à ce qu'ils disent, c'est que avant, il en avait un noir, pas un brun. Un noir.

    -Avant ?

    -Oui, avant. Le délit maintenant, c'est aussi d'en avoir eu un qui n'aurait pas été brun. Et ça, c'est pas difficile à savoir, il suffit de demander au voisin. J'ai pressé le pas. Une coulée de sueur trempait ma chemise. Si en avoir eu un avant était un délit, j'étais bon pour la milice. Tout le monde dans mon immeuble savait qu'avant j'avais un chat noir et blanc. Avant ! Ca alors, je n'y aurais jamais pansé ! Ce matin Radio brune a confirmé la nouvelle. Charlie fait sûrement partie des cinq cents personnes qui ont été arrêtées. Ce n'est pas parce qu'on aurait acheté récemment un animal brun qu'on aurait changé de mentalité, ils ont dit. « Avoir eu un chien ou un chat non conforme, à quelque époque que ce soit, est un délit. » Le speaker a même ajouté « injure à l'Etat national ». Et j'ai bien noté la suite. Même si on n'a pas eu personnellement un chien ou un chat non conforme, mais que quelqu'un de sa famille, un père, un frère, une cousine par exemple, en a possédé un, ne serait ce qu'une fois dans sa vie, on risque soi-même de graves ennuis.

    -Je ne sais pas où ils ont mis Charlie. Là, ils exagèrent. C'est de la folie. Et moi qui me croyait tranquille pour un bout de temps avec mon chat brun. Bien sûr, s'ils cherchent avant, ils n'ont pas fini d'en arrêter des proprios de chats et des chiens. Je n'ai pas dormi de la nuit. J'aurais dû me méfier des bruns dès qu'ils nous ont imposé leur première loi sur les animaux. Après tout, il était à moi mon chat, comme son chien pour Charlie, on aurait dû dire non. Résister davantage, mais comment ? Ca va si vite, il y a le boulot, les soucis de tous les jours. Les autres aussi baissent les bras pour être un peu tranquilles, non ? On frappe à ma porte. Sitôt le matin, ça n'arrive jamais. J'ai peur. Le jour n'est pas levé, il fait encore brun au dehors. Mais arrêtez de taper si fort, j'arrive.

     

    Nouvelle de Franck Pavloff publiée aux éditions Cheyne en 1998