Nous sommes au printemps 2017. Et oui, ça fait longtemps. C’était avant la COVID. Dire que cette période a existé…
Une collègue me demande de traduire en allemand des passages d’un guide qui part depuis Genève sur les chemins de Saint Jacques en menant les pèlerins à différents grands départs : Le Puy, Arles…..
Sans le savoir, elle nourrit un rêve vieux de quelques décennies : Marcher sur le chemin de St. Jacques, mettre mes pas dans ceux des milliers de personnes qui ont suivi cet appel – ou un ordre -depuis 1000 ans. Je traduis et découvre donc des descriptions bien concrètes : des cartes avec leurs légendes, des adresses de gîtes, des variantes, des mots énigmatiques comme « donativo ». Tout un univers s’ouvre à moi dont celui des distances : 10km, 20 km, 35 km. Ah! Quand-même ! C’est long pour une promeneuse du dimanche. Mais plus je traduis, plus le chemin s’impose.
Je cogite et j’en parle à ma collègue, mes fils et mon mari.
Les réactions sont bien différentes. Cela va de de l’enthousiasme et des encouragements jusqu’au doute, des conseils de matériel jusqu’aux conseils de très grande prudence.
J’opte pour l’enthousiasme et la réflexion sur le matériel.
Je ne possède rien de valable pour un projet pareil. Mes chaussures de marche permettent tout juste quelques heures de balade sur un terrain facile. Quand je les ai achetées, je ne savais même pas qu’il fallait prendre une pointure de plus. L’existence de chaussettes spéciales - quelle découverte ! L’achat du sac à dos doit suivre des critères spécifiques ? Très bien. Des bâtons ? Mais comment ça, des bâtons ? Deux en plus ? C’est mieux ? Ah ! D’accord.
Et quels habits ?
Quel type de pantalon ? De t-shirt ? De sweat ? Combien de chaque ?
Y a t-il des matériaux spéciaux qui sèchent plus vite ? Quelle cape de pluie ?
Ma collègue -généreuse – me prête tout ce qu’il faut en un exemplaire -sauf les bâtons : j’en aurai deux. De mon côté, je scrute attentivement les étiquettes dans les magasins de sport et écoute les conseils d’un vendeur concernant les chaussures. J’acquiers un sac à dos tout neuf que je teste sur les conseils de mon fils pendant trois heures à la maison en faisant la cuisine, le ménage et de l’ordinateur - chargé de 10 kg sous forme de bouteilles d’eau et de serviettes de bain. Génial. Je peux le garder.
Autre grande question : Partir d’où ? De Paris ? Arles ? Le Puy ? Vézelay ?
Ma collègue, intransigeante, m’ordonne presque : « Depuis chez toi ! Les pèlerins partaient tous de chez eux dans le temps. » Partir de Portes-lès-Valence ne m’enchante guère. « Vous n’avez pas une petite maison à Saint Martin de Valamas ? - Si.- Tu l’aimes bien ? - J’adore ! - Alors, tu pars de là. Il faut partir de chez toi !» Moi, la « Pas d’ici », je décide donc de partir de notre petite maison de la rue des Puces – mon chez-moi ici. Tout naturellement, cela m’amène sur la voie du Puy.
En octobre 2017, après plusieurs mois de réflexion, après une dernière semaine de préparatifs détaillés où le salon est envahi de sachets et sacs de différentes tailles pour les divers contenants que je change, rechange, inspecte, ré-inspecte, pèse, repèse, me voilà fin prête pour partir avec une amie depuis Saint Martin. Il fait beau, le ciel brille d’un beau bleu et le soleil chauffe. Les arbres ont déjà mis leurs habits colorés. Notre premier tampon sur la crédencial qui témoigne des étapes parcourues vient de la mairie de Saint Martin, notre première petite carte pour rejoindre le chemin balisé par une coquille de l’office de tourisme – un don de François. Nous descendons la rue des Puces, traversons le pont de l’Eyrieux et grimpons la colline en face du village. Saint Martin s’éloigne, se blottit dans sa vallée, et rapidement, nous ne le voyons plus. Le début d’une belle aventure s’offre à nous!
Depuis l’automne 2017, j’ai marché plusieurs fois 8 jours sur le chemin de St Jacques, tantôt seule, tantôt accompagnée. Les confinements et certains autres évènements ne m’ont pas permis d’avancer comme je l’aurais voulu, mais chaque étape apporte l’excitation du départ, le bonheur des rencontres, la méditation de la marche, la joie des beaux paysages, la confiance, le lâcher prise. Le 30 octobre 2021, je suis arrivée à Arzacq-Arraziguet dans les Pyrénées atlantiques.
Le vécu du chemin parcouru m’accompagne souvent. Le temps passe si vite. Je suis heureuse d’avoir suivi le conseil de ma collègue : être partie de chez moi. Les premiers pas, je peux les refaire souvent. Cela m’ enchante chaque fois de nouveau. Saint Martin n’est pas seulement mon refuge du quotidien, de la ville, de beaucoup de monde, c’est aussi le départ pour la réalisation d’un vieux rêve qui a accompagné presque toute ma jeunesse.
Christiane Behnke