Un ami m’a transmis récemment une photo que je ne connaissais pas.
Elle a du être prise autour de 1956 ou 1957 puisque les enfants qu’on y voit me paraissent avoir une dizaine d’années. Et j’y suis moi même présent.
(Dans le fonds de la photo, avec de grandes oreilles.)
Heureusement pour le physique play-boy à venir, elles ont arrêté de grandir et gardé la même taille qu’à mes dix ans, c’est toujours ça de gagné, ça s’est équilibré avec le reste.
Sur cette photo, on retrouve les enfants qui faisaient partie du groupe des « Coeurs Vaillants de Saint-Martin de Valamas ».
Les « coeurs vaillants » c’était un mouvement catholique, géré par des ecclesiastiques, fonctionnant un peu sur le modèle des scouts de Baden Powell, mouvement non confessionnel.
Peut-être pour en être un genre de concurrence catholique au scoutisme ?
En tout cas son action, très louable, était d’encadrer les enfants et de leur proposer une occupation les jeudis après-midi. A cette époque, c’était le jour où il n’y avait pas école.
Je ne m’étais, jusqu’à revoir cette photo, jamais posé la question de la création et de la permanence de ce mouvement, tant sa légitimité et sa pérennité me paraissaient évidentes et éternelles.
Mais même les solides institutions, comme les entreprises, les associations et les partis politiques sont mortels et je n’ai plus de nouvelles des « coeurs vaillants ». Je n’ai pas l’impression que ça existe encore.
M’être replongé dans ce passé charmant, va déjà me permettre de témoigner ici ma gratitude rétrospective aux encadrants de ces jeudis ludiques. Et souligner la profonde abnégation et la sollicitude manifestée par ces jeunes abbés ou frères maristes à s’occuper des petits « coeurs vaillants » du village.
Et de leur témoigner mon admiration pour les avoir distraits et formés aussi solidement. Les jeudis tout au long de l’année scolaire, puis les emmenant en « camps » genre de colonies de vacances sous la tente, au mois d’août.
A ceci près que camper sous une tente canadienne, au pied du Mezenc, où la nuit le gel n’est jamais loin, même en été, pour un petit « coeur vaillant » il vaut souvent mieux dormir tout habillé dans son duvet.
J’en ai encore des souvenirs frigorifiés…
Et à cette époque de nombreux enfants faisaient partie de ces troupes innombrables de baby-boomers qu’il fallait occuper toute l’année.
Rares étaient les familles, qui en été, partaient ailleurs en vacances. Du reste quand on a la chance de vivre dans les Boutières, on n’a pas trop d’intérêt à aller faire le touriste loin de la région, on y est si bien.
Et ça nous paraissait évident à l’époque, et peut-être pour nos familles également, qu’on s’occupe autant de nous (gratuitement).
Pendant l’année scolaire les frères maristes nous faisaient la classe, les jeudis les abbés nous emmenaient jouer au foot au « pré-rond », ou se baigner au « gour des petits », ou courir la montagne vers Baruse ou la pinée Bouchet. Et l’hiver faire de la luge dans les près.
Rétrospectivement on peut se dire qu’il leur fallait une sacrée vocation, à ces jeunes ecclésiastiques qui nous encadraient, pour nous consacrer autant de temps. Ils auraient peut-être eu envie, le jeudi de se reposer ou de faire autre chose de leurs loisirs. Par exemple bouquiner ou écrire à leur famille, ou encore se promener tout seuls sans avoir à surveiller une marmaille intrépide. « Coeurs vaillants » jamais en repos, grimpant partout, escaladant les murs du Château de Rochebonne pour atteindre le donjon, grimpant dans les sapins et galopant dans les bois ou sautant de pierre en pierre pour traverser les rivières. Se fabricant des épées avec des bâtons pour jouer aux trois mousquetaires au risque de s’éborgner.
(Ces encadrants emmenant même à l’occasion ces jeunes, campant à Chaudeyroles, braconner dans le Lignon, mais… chut. Et de toute façon il y a prescription).
Imaginez le scandale que ça ferait de nos jours dans les réseaux sociaux : des curés incitant des enfants à enfreindre la loi pour attraper des truites à la main.
Mais cette noblesse ecclésiastique locale était nombreuse dans le village, aussi bien en abbés, archiprêtres ou curés qu’en « frères maristes » et soeurs garde-malades.
Ces accompagnateurs, c’était pour nous des référents éducatifs adultes à qui il fallait obéir sans discuter. Nous étions turbulents mais pas contestataires, déconneurs (j’ai failli dire « sots » mais le mot n’est plus trop usité) mais respectueux et polis. Et rétrospectivement quand j’y pense j’ai une pensée reconnaissante pour ces jeunes frères maristes ou abbés qui devaient avoir entre 20 et 30 ans et qui avaient décidé, j’espère de leur plein gré, de consacrer leur vie à la religion et à la prière.
Et qui par le fait travaillaient 24h sur 24.
Quand on est curé on l’est par vocation et en permanence. Et pour aller donner l’extrême-onction à un malade on peut être requis à n’importe quelle heure, jour et nuit.
Et sous la surveillance active des ouailles, on ne peut se laisser aller à aucun écart festif, à part peut-être, pour l’archiprêtre un petit pastis chez Dédé Pizot le dimanche midi après avoir dit la messe. Mais c’est bien tout.
Et pour les jeunes abbés, en plus de leur charge ecclésiastique, la mission de s’occuper d’enfants… obéissants certes, mais quand même pas mal intrépides une fois lâchés dans la nature.
Et quand en disant leur messe, ils devaient entonner le dimanche à l’Eglise le cantique « tu es mon berger oh seigneur » ils devaient aussi penser à leur rôle dans le gardiennage du troupeau de « coeurs vaillants » du jeudi après-midi.
Sur cette photo, on voit une trentaine d’enfants, tous de Saint-Martin de Valamas. Un groupe homogène où tous ces jeunes ont à peu près le même âge. Au maximum trois ans d’écart. C’est à dire nés entre 1946 et 1949. Et je ne parle que des enfants qui allaient à l’école des frères. Je ne vois pas, dans aucune de ces trois équipes sur la photo, les jeunes du village qui fréquentaient en même temps l’école laïque. Il ne me semble n’y avoir que des jeunes de l’école libre. Dites moi si je me trompe.
Ça veut dire, pour faire un peu de statistique, qu’au niveau population qu’on voit sur la photo, environ une trentaine d’enfants, on pourrait en doubler le nombre en rajoutant ceux de l’école laïque. Et peut-être arriver au chiffre approximatif d’une soixantaine de garçons du même âge dans le village au cours de ces années là.
Et à ce chiffre rajouter sans doute un nombre égal de filles. Celles-ci allant à l’école à « l’Asile ».
Preuve statistique et évidente que dans ces années d’immédiat après-guerre il y avait eu un formidable boom des naissances dans le village.
Quand je prends connaissance actuellement dans le journal « Terre Vivaroise » d’une naissance à Saint-Martin de Valamas, j’en suis tout content. Car cela me paraît d’une si grande rareté, que je me surprends alors à penser « les affaires reprennent ».
Sans doute les bébés naissent-ils à présent dans les maternités d’autres villages et sont-ils comptabilisés ailleurs. Et dans ces régions, au faible niveau démographique chaque naissance est précieuse, surtout pour faire l’équilibre avec les décès, qui eux, hélas ne font pas de pause.
Entre 1945 et 1955, je me dis que ça devait être presque toutes les semaines qu’on accueillait un nouvel administré (bébé) dans le village, la plupart du temps né dans la maison de famille, leur maman accouchée par le docteur Figuel ou le docteur Teilhou.
(A suivre dans le prochain « rue des puces »)
Georges Verat