L'itinéraire culturel européen « Sur les pas des Huguenots et des Vaudois » part de Poët-Laval (Drôme), traverse la Suisse et, en Allemagne, le Bade-Wurttemberg et va jusqu'à Bad karlshafen dans la Hesse. Dans le Wurttemberg, au nord de la Forêt Noire, dans la région de Pforzheim, le chemin passe par des villages aux noms bien français : Pinache, Serres, Pérouse et d'autres. Ceux-ci ont été fondés dans les années 1699-1701 par des Vaudois venus du Val Cluson et du Val Pragela dans le Piémont.
A la fin du XIIe siècle, Pierre Valdès, un marchand lyonnais, a remis en cause certains principes de son Eglise avec laquelle il rompt en 1179, et il fonde une communauté « Les pauvres de Lyon » qu'on appellera bientôt les Vaudois. Leurs principes étaient de se référer uniquement à la Bible, de contester le pouvoir et la richesse de l'Eglise et de rejeter l'idée de purgatoire et le culte des Saints. L'Eglise réagit aussitôt, excommunie P. Valdès et condamne ses disciples comme dissidents. Ceux-ci s'enfuient et trouvent refuge dans les vallées isolées des Alpes cottiennes, notamment dans les vallées sur le versant italien.* En 1532 ces Vaudois rallient la Réforme de Calvin -Ils parlaient français et Genève n'était pas loin- et à ce moment seulement ils acceptèrent le nom de Vaudois.
Au XVIIe siècle une grande partie du Val Cluson se trouvait sous la domination française et, quand, en 1685, Louis XIV a révoqué l'Edit de Nantes et persécuté les protestants les Vaudois furent aussi concernés.
En 1680, un pasteur huguenot, Henri Arnaud, venu d'Embrun pris en charge un pastorat vaudois et devint témoin des persécutions des vaudois dans la vallée. En 1698, il se rendit en Allemagne et pris contact entre autres avec le Duc Eberhard Ludwig de Wurttemberg. Celui-ci lui promit d'accueillir des réfugiés. Il avait bien besoin de nouveaux habitants pour son pays toujours dévasté par la guerre de 30 ans. Henri Arnaud partait bientôt avec un grand nombre d'hommes et de femmes. Ils traversaient les Alpes, se dirigeaient vers Genève d'où ils prenaient l'itinéraire des Huguenots du sud de la France. Après l'arrivée d'un premier groupe au Wurtemberg en 1699, le Duc leur a assigné des territoires à coloniser au nord de la Forêt Noire, dans le nord-ouest de son pays, et il leur a accordé certains privilèges, entre autres la gestion autonome de leurs colonies, la pratique de leur culte (calviniste dans un pays luthérien) et le maintien de leur langue. Les Vaudois ont alors cultivé les terres en friche, planté des pommes de terre, qu'ils ont ainsi fait connaître dans le pays. Ils ont fondé des villages auxquels ils donnaient des noms de leur ancien pays : Pérouse, Pinache, Serres, Villars, Bourcet. Ils parlaient le franco-provençal ( qu'ils appelaient patois), pratiquaient leur culte en français, avaient leurs pasteurs et leurs écoles. Pendant 120 ans ils formèrent une population à part, leur langue et leur culte empêchaient l'intégration.
Cette situation a changé au début du XIXe siècle : En 1796 déjà, un rapport du pasteur de Neuhengstett (Bourcet) avait attiré l'attention du gouvernement. Le pasteur avait dénoncé un niveau de culture catastrophique, constaté que les gens ne parlaient bien ni l'allemand ni le français, et qu'à l'extérieur du village personne ne pouvait se comprendre. Des études ont confirmé le rapport, et par la suite, la gestion autonome du village a été annulée en 1806. En 1823, d'autres mesures ont suivi : Le roi Wilhelm I. de Wurttemberg (entre temps le duc était devenu roi) a convoqué un synode où il réunit les pasteurs vaudois et les dirigeant de l'église luthérienne. Ce synode a décidé l'interdiction de la langue française à l'église et à l'école, l'intégration de l'église vaudoise dans la luthérienne et l'abolition de la gestion autonome des villages .
Au cours du XIXe siècle, les vaudois se sont assimilés à la société du Wurttemberg. Avec le culte luthérien (en allemand bien sûr) même l'intérieur des églises a été transformé. Les jeunes sont souvent partis dans les villes, se sont mariés avec des partenaires germanophones. Leur langue disparaissait et, à la fin du siècle, seules quelques personnes âgées la parlait encore. Pourtant des noms de familles persistent jusqu'à nos jours, on trouve toujours des Jordan, Ayasse, Soulier et d'autres.
En1899, la commémoration des 200 ans de la fondation de la première colonie a marqué un tournant. Les descendants des colonisateurs vaudois ont redécouvert l'histoire et les traditions de leurs ancêtres dont ils admiraient la persistance de leur foi. L'identité vaudoise s'est renouvelée et en 1936 l'association des vaudois allemands a été créée. Elle a acheté la maison d'Henri Arnaud à Schönenberg où le centre de tous les Vaudois en Allemagne a été installé. Il existe toujours et on y trouve un musée, des archives et une bibliothèque concernant l'histoire et l'actualité des Vaudois.
Christel Dürr
*Les vallées vaudoises du Piémont sont trois vallées du nord-ouest de l'Italie qui doivent leur nom au fait que la plupart de leurs habitants étaient des fidèles de l'Église évangélique vaudoise.