Lors du premier confinement, au printemps 2020, un restaurateur parisien expliquait à la télévision comment il s’était organisé pour proposer devant son établissement des repas à emporter. Très bien. Il attirait le client au moyen du panneau : ‘’take away’’… Et il se montrait très fier de lui. Eh bien, monsieur, si je me trouve un jour devant votre établissement à l’heure du repas, je traverserai la rue, plusieurs rues s’il le faut, pour rejoindre un restaurant concurrent affichant : ’’repas à emporter’’.
Je suis agacé, irrité, voire désespéré par cette invasion de la langue anglaise dans notre quotidien. Je pourrais remplir des pages entières d’exemples. Mais on en trouve dans toutes les rues, dans tous les journaux, sur tous les écrans… Quelques-uns quand même : un centre de remise en forme en Ardèche est un ‘’body impact’’. Une usine devient ‘’factory’’, un gala de boxe : ‘’flight night one’’. Le sport est très représenté dans le genre, où l’arbitre devient : ‘’referee’’, un troisième-ligne : ‘’flanker’’, une équipe : ‘’team’’, avec son ‘’coach’’, naturellement. On ne marque plus, on ‘’score’’. Un gagneur est un ‘’winner’’, voire un ‘’killer’’. Pratiquez-vous le ‘’skatepark indoor’’ ? Cela s’appelle ‘’the rough’’. Vous pensiez avoir du style ? C’est terminé, puisque vous avez ‘’the flow’’. Et le ‘’made for share’’ ? Auriez-vous oublié ce slogan du comité d’organisation des jeux olympiques à Paris, alors que le français est la première langue officielle de l’olympisme, avant l’anglais, et que Paris se situe en France ?
Cette année, la Communauté de Communes Val’Eyrieux y est allée elle aussi de son slogan : ‘’ succès story in Ardèche’’. Nous devons y voir une ‘’marque d’attractivité’’. J’y vois, pour ma part, une marque de ridicule… A quand, pour nos édiles, des tatouages couvrant leurs mollets et leurs biceps ? Puisqu’il faut faire jeune…
Voici peu d’années, le slogan du Comité Départemental du Tourisme de l’Ardèche était :’’Ardèche for ever’’, sur un extraordinaire fond rose bonbon Barbie. Le cerveau à l’origine de cette prouesse mérite, assurément, une décoration… reste à en déterminer la matière
Certains dirigeants d’entreprises françaises tiennent, en France, des conseils d’administration en anglais. Le président Macron intervenait le 15 septembre 2020 en public derrière un pupitre sur lequel on lisait : ‘’France Relance French Tech’’.
Le secteur de la publicité n’est pas en reste, loin de là. La mode actuelle consiste à présenter un très court slogan en anglais, suivi d’un astérisque renvoyant à la traduction en minuscules caractères dans le bas de la page ou de l’écran. Vous en avez tous vu. Je livre en vrac les ‘’inspired by you, born in the sun, innovation for vision, spirit of avant-garde’’. Vous en redemandez ? Et voici la ‘’french touch, les french days’’… J’arrête là le massacre, et vous laisse le soin d’observer les enseignes des commerces dans les rues de nos cités. On trouve même, désormais, des publicités en anglais parlées !
J’avoue, vous le devinez, que cette déferlante m’attriste, pour le moins. Suis-je passéiste ? Si aimer sa langue rend passéiste, alors je le suis. Et je ne suis pas le seul. Cette langue dont les linguistes soulignent la richesse du vocabulaire, la précision, la qualité de la grammaire, cette langue qu’ils considèrent comme une des plus belles du monde. Et si être moderne c’est délaisser le français pour l’anglais, ou toute autre langue, j’en arrive à penser qu’il y a des choses que je n’ai pas comprises.
En 1549 Du Bellay, dans ‘’Défense et illustration de la langue française’’ écrivait : ‘’Notre langue ne doit pas être déprisée.’’ Déjà…
Aujourd’hui, parmi d’autres, l’écrivain Benoît Duteurtre se désole : en Europe et en France ‘’le français ne cesse de reculer avec la complaisance d’élites qui jugent plus moderne de s’exprimer in english’’.
Il est permis aussi de s’étonner que l’anglais soit la langue officielle de l’Union Européenne, alors que le Royaume Uni en est parti. Au début du Marché Commun les langues de travail en étaient le français et l’allemand. Pour l’écrivain italien Umberto Eco, la langue de l’Europe est ‘’la traduction’’.
Qu’en pense notre ministre de la francophonie? Il n’en pense rien, puisque le président Macron a supprimé ce ministère… en attendant la création, peut-être d’un ministère de l’anglophonie. Attendons-nous à tout.
Alors je m’interroge : l’emploi immodéré d’une langue étrangère est-il bien légal ? J’invite, pour répondre, à la lecture de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 dite ‘’loi Toubon’’. J’en extrais quelques lignes :
-art 1 (extrait) : la langue française ‘’ est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics.’’
-art 2 (extrait) : ‘’Dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et les quittances, l’emploi de la langue française est obligatoire. Les mêmes dispositions s’appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle.’’
-art 3 (extrait) : ‘’Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l’information du public doit être formulée en langue française.’’
-art 4 (extrait) : ‘’Dans tous les cas où les mentions, annonces ou inscriptions prévues aux articles 2 et 3 de la présente loi sont complétées d’une ou plusieurs traductions, la présentation en français doit être aussi lisible, audible et intelligible que la présentation en langues étrangères.’’
Après lecture, il est possible de demeurer perplexe…
Un des objectifs de cette loi est ‘’d’assurer la primauté de l’usage de termes francophones traditionnels face aux anglicismes’’.
Cette loi a été attaquée par des personnes qui jugent qu’elle porte atteinte dans certains cas (publicité par exemple) à la liberté d’expression.
Le sénateur Philippe Marini propose le 5 décembre 2004 une loi pour renforcer la loi Toubon. J’en cite l’article 2 : ‘’l’article 3 de la loi 94-665 est complété par l’alinéa suivant : toute inscription en langue étrangère sur une enseigne ou devanture d’un local commercial doit comporter une traduction en langue française de taille équivalente.’’ La proposition est restée, semble-t-il, proposition.
Le 14 septembre 2004, le député Jacques Myard ‘’appelle l’attention de monsieur le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie sur les curieux manquements de l’administration française dans son soutien à la défense de la langue française et de la francophonie.’’
La loi est l’œuvre du pouvoir officiel. Mais il existe une autre loi qui ne porte aucun sceau, qu’on n’imprime dans aucun Journal Officiel : c’est la loi du bon sens, la loi du savoir-vivre, la loi des gens ordinaires. Je fais partie avec vous de cette vaste assemblée de non-élus. Je ressens une sorte de honte devant cette pratique, je me sens vraiment ridiculisé quand on s’adresse ainsi à moi, je suis désemparé face à cette vague british dont les Britanniques ne sont pas responsables d’ailleurs : ils ne nous imposent rien. Ce sont les Français, par exemple, qui ont créé le mot : ‘’rugbyman’’. Eux emploient le terme : ‘’rugby Player’’. Il en est ainsi des mots ‘’recordman, camping-car, speaker, carter, strip-triseuse’’… que les Britanniques n’emploient pas ou emploient dans un autre sens. ‘’Etonnant, non ?’’
Alors je ne peux m’empêcher de penser à Coluche. Il avait naguère si bien pourfendu les marchands de lessive et leurs publicités débiles et débilisantes pour ces produits qui lavaient plus blanc que blanc et qui lavaient l’eau avant de laver le linge qu’ils en étaient venus à une communication un peu moins bête. Je rêve d’un nouveau Coluche, un disciple, qui se pencherait sur le cas. Il y a là matière à sketches (le mot français ne semble pas exister) pour le fantaisiste qui remettrait l’église au milieu du village, et la bêtise à l’extérieur. Un peu d’intelligence ferait du bien à tout le monde.
Michel Guigon
Commentaires
Bien parlé. Il y a pas mal d'années , on avait demandé à des enfants de prendre des mots venant de l'anglais et de trouver l'équivalent en français. Et ils avaient eu de très bonnes idées , mais dommage que ça ne soit pas allé plus loin pour le remettre dans notre vocabulaire.
Laurence.