Il serait bon de lire la thèse de Marc Boyer sur « L’invention du tourisme dans le Sud-Est de la France », publiée en plusieurs volumes aux éditions du Centurion. La lecture de son intervention lors des actes de la journée d’étude dédiée aux cent ans de l’administration du tourisme devrait peut-être suffire… pour présenter quelques-unes une de ses idées.
1 -« Le tourisme n’a pas toujours existé ».
Les premiers visiteurs de nos contrées étaient des voyageurs qui la traversaient pour des raisons économiques, politiques, administratives et scientifiques ou presque. C’est le cas de l’abbé Giraud-Soulavie qui visitait le Vivarais, en 1774, pour y faire des observations, pendant les « vacances du séminaire ». Il en publiera les résultats. D’autres voyageurs publieront aussi leurs récits de voyage ou le résultat de leurs études.
En 1840, Georges Touchard-Lafosse, journaliste et éditeur, publie « La Loire historique, pittoresque et biographique : ... de la source de ce fleuve à son embouchure ». Sa collection d'ouvrages illustrés sur les provinces de France préfigure les guides de voyages modernes. On peut se demander s’il a vraiment visité le Gerbier puisqu’il a écrit : « De quelle surprise n'est-on donc pas saisi lorsqu'après avoir atteint laborieusement la cime du Gerbier, on y trouve un terrain frais, marécageux même, dans lequel poussent des joncs ».
Pittoresque : le mot est entré dans le vocabulaire du tourisme et se retrouve sur les cartes postales publiées à destination des touristes qui enverront des : « Affectueux souvenirs ; Excellente excursion ; Amitiés de ce joli paysage ; Bons baisers en promenade ; Amitiés de fin de vacances ; Bons baisers de toute la famille ; Ballade en auto, charmant pays ; etc. » ou tout simplement les mots « votre » ou « bonjour de » suivi d’une signature. A un moment le nombre de mots a été taxé par la poste (Poste et Télégraphes en 1879) !
Après l’idée de pittoresque c’est celle de cure d’air, de montagne ou de balnéaire, qui commence à apparaître dans les Alpes à la fin du XIX°siècle et certains établissements prennent le nom de « Cure d’air de… ». L’expression se retrouvera aussi sur les cartes postales de notre région ; à Saint-Agrève par exemple, un village qui est même qualifié, sur certaines, de « Capitale des Stations d’air »… Cette station a même édité, à partir d’août 1904, et au moins jusqu’en 1907, « Le courrier du bon air » paraissant toutes les semaines pendant la saison.
2 - « Mais le tourisme a un mobile spécifique : on voyage par désœuvrement et curiosité, selon la définition du dictionnaire, sans raison financière, sans appât du gain. Au contraire, on sait qu’on ne fera que dépenser sans rien gagner. »
Une économie du tourisme existe et les offices de tourisme font tout pour attirer le touriste et sa manne financière.
Un célèbre touriste, le Dr. Bailly, visitait le Velay et le Vivarais en 1880 et publiait l’année suivante « Les vacances d'un accoucheur » pour raconter trois semaines d'excursions. Son itinéraire est bien préparé et son accueil attentionné : « .. on sait que je suis un touriste, qu'il me faut un guide, que par conséquent j'ai des ressources pécuniaires on en prend plus d'estime pour ma personne, et le soir, à ma vive satisfaction, je me vois installé dans une chambre proprette, avec de frais rideaux et un lit confortable orné d'un couvre-pied brodé par la « demoiselle » de la maison… ». Les touristes sont cependant peu nombreux : « A sept heures du soir j'étais de retour au village, où, quelques minutes auparavant, deux touristes avaient fait leur entrée. Je ne fus pas fâché de voir des confrères ; depuis trois ans le hasard ne m'en a fait rencontrer aucun, et je commençais à croire que, en France du moins, j'étais le seul voyageur de mon espèce aujourd'hui, plus de doute, j'avais des collègues ». Le Dr Bailly était à pied, louait parfois une monture ou une voiture pendant ses excursions ou prenait des voitures publiques ; d’autres étaient mieux équipés et « ils voyageaient à cheval, avec domestique ». Le tourisme se réalisait aussi en famille à partir d’un séjour dans une cure thermale et le docteur a rencontré, le 24 août, une famille qui « se composait de trois dames et du frère de l'une d'elles, député d’un de nos départements du Centre, venu à Vals pour sa-santé ».
Mais, au fait, qui a inventé les touristes ?
A suivre…
Jean-Claude Ribeyre
1) Journée du 12 mai 2011. Rapportée dans « Pour Mémoire », revue du ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’énergie. Juillet 2012.
2)« Il fit ses études au collège Saint-Nicolas d’Avignon, puis au séminaire, et fut ordonné prêtre en 1776 ». Jean-Louis Giraud Soulavie, une personnalité polyvalente : prêtre, historien et géologue (1752-1813). Par O. Perru. Académie de Grenoble. 2018.
3)Saint-Agrève d’hier et d’aujourd’hui, Roger Dugua, Éditions Dolmazon, 2013. A partir de 1905, il existait un journal semblable dans le Cantal : « Le Touriste Journal des étrangers et des baigneurs de Vic-sur-Cère et du Lioran » (Bnf, Gallica). Ces types de journaux publiaient la liste des étrangers en villégiature.
Légende des gravures :
Déplacement à cheval devant le Gerbier. Illustration tirée de Description géologique du Velay, Marcellin Boule, 1892. Pendant son étude sur le terrain, l’auteur a remarqué qu’« il n'est pas facile de trouver un gîte dans cette contrée ». Bnf Gallica.
L’Ardèche pittoresque. Le premier confluent de la Loire et le Gerbier de Jonc (1551 m). L.L. (Louis Lévy éditeur de cartes postales). Vue prise entre 1905-1908, dates de construction de l’hôtel, d’après des témoins qui ont indiqué que cet hôtel accueillait beaucoup de pêcheurs à la ligne venus taquiner les truites.