Difficile ? Sauf peut-être pour les concurrents des divers rallyes qui traversent ou ont traversé le pays. Pourtant les premiers conducteurs s’en donnaient à cœur joie.
En 1920, un article de la « Revue de l'horlogerie-bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, pierres précieuses et des industries qui s'y rattachent » relatait une visite de l’atelier de bijouterie de Limis (1), après celle du stand et des ateliers lyonnais de la maison Thiéry lors d’une Foire de Lyon. Le voyage a semble-t-il été rapide : « En trombe, nous traversons Annonay, St-Bonnet-le-Froid et la station estivale de St-Agrève ; puis c’est la descente sur Saint-Martin où nous arrivons pour déjeuner ».
On peut se demander quelle était la vitesse correspondant à l’expression « en trombe » puisque à cette époque les automobiles ne dépassaient guère les 60 km/h et que la vitesse était bien souvent limitée depuis 1912 (2). Déjà en septembre 1901, le conseil général de l’Ardèche demandait « aux pouvoirs publics de réglementer la vitesse des automobiles, particulièrement dans la traversée des villes et villages, et d'établir des pénalités sévères à rencontre de toutes les infractions qui seront commises ». Plus tard, en septembre 1926, ce même conseil constatant aussi que l’usure rapide des routes était due en grande partie à la vitesse trop grande des autos et au poids trop lourd des camions, émettait le vœu « que les camions soient limités à une charge de 3 tonnes avec une vitesse limitée à 25 km/h et que la vitesse des voitures soit limitée à 70 km/h ».
Depuis le début du siècle dernier, les valeurs limites de la vitesse autorisée dans les agglomérations ont varié et on peut trouver des anciens panneaux sur le Web. Pour St-Martin la limitation de vitesse en 1958 était la suivante (Carte postale Cellard. 1958 - Vue générale. AD07, cote : 28 Fi 4113).
Pour répondre à tous les problèmes de circulation un « Code de la route » a vu le jour en mai 1921 (3). Il était en préparation depuis de nombreuses années et a été élaboré par une commission après une enquête terminée en 1919. Il fait suite à la loi sur le « roulage » de 1851 modifiée par plusieurs décrets jusqu’en 1919 et quelques codes de circulation déjà existants mais non contractuels. Le journal Le Gaulois publiait le texte de ce code dans son supplément illustré du 5 octobre 1921 consacré au salon de l’automobile à Paris (du 5 au 16 octobre).
Ce code précisait : « tout conducteur d'automobile, doit rester constamment maître de sa vitesse » et peut « utiliser le milieu ou la partie droite de la chaussée mais il lui est formellement interdit de suivre la partie gauche, sauf en cas de dépassement ou de nécessité de virage ».
Utiliser le milieu de la route ? Des conducteurs ardéchois le font toujours !
Par contre la « nécessité de virage » semble mal explicitée, surtout si on tient compte de l’affirmation du conseil générale qui estimait en 1925 : « le danger de la circulation provient surtout de ce que les usagers de la route ne tiennent pas leur droite en abordant ces virages », et avait fait placer des panneaux avec l'indication suivante : « Tenez la droite. - Nombreux virages dangereux sur X kilomètres », après plusieurs demandes de conseillers qui déploraient des accidents. Les Ardéchois tiennent-ils actuellement toujours leur droite dans les virages ? Pas très sûr.
Parmi ces accidents, un, qualifié de « terrible » par le Journal de Tournon, est survenu le 10 novembre 1901 rue du Garail : « Plusieurs enfants jouaient en face du restaurant Gerland, lorsque vint à passer une voiture. Elle allait à une assez vive allure, et renversa une fillette... Une des roues du véhicule passa sur la malheureuse enfant, lui occasionnant de graves blessures. Malgré tous les soins qui lui ont été prodigués, elle a succombé quelques heures après ».
A la suite de la création du code de la route ; le « certificat de capacité pour la conduite des automobiles » établi par le décret du 10 mars 1899 a été remplacé par le « permis de conduire » le 31 décembre 1922. Ce certificat devait désigner le type de véhicule conduit ; dans quelques exemples de certificats présents sur le Web ont relève les appellations suivantes :
- 1888 : appareils à vapeur (automobiles) ;
- 1899 : automobile à pétrole à deux places ;
- 1907 : voiture avec moteur à pétrole ;
- 1911 : véhicule automobile à pétrole ;
- 1913 : automobile à pétrole ;
- 1917 : voiture avec moteur à essence ;
- 1917 : voiture à pétrole
- 1922 : locomobiles routiers avec moteur à vapeur ;
- 1922 : voiture automobile
Enfin un terme plus générique.
C’est en référence au décret du 10 mars 1899 que le conseil général a comptabilisé jusqu’en 1925 (4) le nombre de véhicules mis en circulation sur le département et celui des certificats et permis. En 1900, « il a été procédé à la réception de 7 automobiles et de 5 motocycles ou tricycles et il a été délivré 14 certificats de capacité » (5). Le premier janvier 1903 il y avait 98 véhicules en circulation dans le département et 94 personnes avaient un certificat de capacité. En mars 2022 (6) le nombre de véhicules mis en circulation en Ardèche est estimé à 259 591.
Il est difficile de savoir combien il y avait de voitures à St-Martin et dans son canton au début du XX° siècle sans une longue recherche aux archives (7), mais elles étaient limitées à 8 km/h pour « marcher dans la ville » à partir du 27 juillet 1908, date d’un arrêté municipal signalé par Roger Dugua dans son ouvrage sur St-Martin.
On découvre ces premières voitures sur les cartes postales anciennes comme celle ci-dessous, publiée par Margerit-Brémond du Puy, qui présente deux automobiles rue du Garail (une concentration ?).
L’immatriculation de la voiture de droite correspond à une réglementation de 1914 qui a duré jusqu’en 1924
(1406-I5 ou 1486-I5 ; I5 étant une immatriculation de la région parisienne) (8).
JCR
Notes
1 - Louis Chapus était un collaborateur de L. Thiéry et directeur de l’usine de Limis appartenant à cette Maison
(anciennement Thiéry-Masson et Cie, fondée en 1910) jusqu’en 1935 environ.
2 - Et même avant puisque le décret du 10 mars 1899 a limité la vitesse à 30 km/h en campagne et à 20 km/h en ville.
3 - Décret du 27 mai 1921 suivi d'une circulaire concernant la réglementation de l'usage des voies ouvertes à la circulation publique.
4 - Le service des Mines, dépendant du Conseil général, a été déchargé du service des examens du permis de conduire au profit de l'union nationale des associations de tourisme qui a géré les permis jusqu’en 1971.
L’activité est alors reprise par le service national des examens du permis de conduire.
5 - Parmi les véhicules motorisés on peut citer le « cyclecar » lancé dès 1910. C’était une voiture légère à trois ou quatre roues qui échappait partiellement à l’impôt sur les automobiles. De tels véhicules sont encore utilisés… Mais ceci est une autre histoire.
6 - Les immatriculations de véhicules en Auvergne-Rhône-Alpes de la DREAL, mars 2022
7 - Registres de déclaration de mise en circulation et immatriculation des automobiles (1899-1921). AD07 2 S 435. D’après une publication des archives départementales, le premier ardéchois a déclaré son automobile, une Peugeot, le 13 octobre 1899.
8 - L’histoire des plaques minéralogiques, « pour mémoire » n°5 hiver 2008 du comité d’histoire ministériel.
(https://www.ecologie.gouv.fr/memoire-du-ministere-comite-dhistoire-ministeriel).