Le terme voiture de tourisme désigne actuellement une automobile produite en grande série, à plusieurs milliers d'exemplaires chaque année, et utilisée par des particuliers pour le transport de quelques personnes avec bagages. Cependant on emploie de plus en plus véhicule particulier. Il y a aussi les voitures de grand tourisme (GT) plutôt luxueuses et confortables, et de grand tourisme injection (GTI) lorsqu’elles deviennent plus sportives, moins confortables et sans référence au tourisme. Mais quel rapport y a-t-il entre l’automobile et le tourisme (1) et entre le tourisme et le sport ?
La question n’est pas nouvelle !
Dans l’édition du 10 janvier 1944 du quotidien Le Journal un encadré titrait « Les voitures de tourisme ne sont pas destinées … à faire du tourisme » en précisant que « l'expression « voiture de tourisme » est rigoureusement vide de sens, car elle ne constitue qu'une formule de désignation ». L’année suivante, un article du journal Les Ailes : journal hebdomadaire de la locomotion aérienne du 14 mars 1945 s’interrogeait sur l’expression avion de tourisme : « Au Congrès national, on s'est préoccupé de remplacer le terme « avion de tourisme » par quelque chose de mieux approprié à la véritable destination de cet avion. « Avion de tourisme » implique le luxe, le superflu, l'inutile, a-t-on dit. L'argument a déjà servi pour l'automobile. On a cherché mieux ; on n'a rien trouvé. La « voiture de tourisme » est restée, même lorsqu'il s'agit de la voiture du médecin, du notaire, du représentant... », ou du préfet !
En 1929 Chenard et Walcker proposait aussi des voitures pour la ville et pour la ville et le grand tourisme, en fonction de la puissance du véhicule. La même année Rochet-Schneider annonçait que l’un de ses modèles « est aussi à l’aise en ville que sur les plus durs raidillons des Alpes où s’effectue sa mise au point ». Quelques années auparavant Fiat associait le luxe et le grand tourisme pour une voiture d’une puissance fiscale de 26 CV. Panhard et Levassor mettait, en 1927, un de ses modèles en concurrence avec le confort des voitures sleeping de La Flèche d’Or, un train de luxe entre Paris et Londres et dès 1921 De Dion Bouton proposait des voitures de tourisme et de ville.
Raoul S, un chroniquer de la revue du Touring Club de France (TCF) s’était lancé en 1905 dans une tentative de définition de la voiture de famille, coupé, limousine et berline pour le tourisme et le voyage et dissertait sur les problèmes de pneus, de châssis et de longueurs d’un véhicule, cherchait « quelles dispositions on peut adopter pour voyager confortablement en logeant 4 ou 5 personnes à l'intérieur de sa voiture ». Il n’était pas pour « la carrosserie de l'égoïste ou du touriste encore très jeune » et affirmait qu’il « connaissait des familles nombreuses qui » faisaient « du tourisme en voiture fermée ».
Très tôt des débats ont existé dans la revue du Touring Club de France qui s’était rapidement positionné pour l’automobile. Dans un compte rendu d’un conseil d'administration, séance du 28 février 1895, on relève : « … Que le Touring-Club a été le premier à patronner la locomotion automobile, et à admettre dans son sein ceux qui ont adopté ce mode de transport… Que la voiture automobile est par excellence un instrument de tourisme et qu'il y a lieu d'encourager de toutes les manières ce nouveau mode de locomotion... ». Les discussions pour définir la voiture de tourisme qui n’était pas l’automobile du touriste ont été nombreuses. Cette dernière se rapprochait plus d’une voiture de voyage et n’offrirait pas les commodités nécessaires au tourisme. « Pourquoi la voiture automobile de tourisme serait-elle donc fermée ? Si le vent gène les voyageurs, ils n'ont qu'à marcher moins vite, ce qui leur permettra de mieux voir encore…Il faut également que la voiture de tourisme puisse passer dans toutes les routes carrossables… La voiture de tourisme idéale est une voiture légère, entièrement découverte, pouvant passer partout et se couvrir à l'occasion ».
C’est bien au luxe, au voyage, au temps libre, au goût du sport ou de la découverte, et à une activité non utile que l’on a associé le tourisme naissant. Les constructeurs de voitures qui au début s’étaient tournés vers les notables et les aristocrates qui utilisaient les automobiles plus pour le prestige que pour des déplacements utiles, se sont tournés vers les adeptes du tourisme puis du sport. Ainsi le TCF décidait lors de la séance du conseil d’administration de février 1895 qu’il « prêtera son concours le plus dévoué au comité d'organisation de l'épreuve Paris-Bordeaux-Paris… ». Cette course qui a eu lieu quatre mois plus tard est considérée, par beaucoup de chroniqueurs, comme la véritable première grande course automobile de l'histoire (1180 km à 24 km/h de moyenne pour le vainqueur).
Avec les premières courses se dessine une nouvelle pratique pour l’automobile qui devient, pour la haute société, autant un instrument de liberté qu’un moyen de se distinguer. Elle s’avère aussi, surtout pour les modèles haut de gamme, un excellent moyen pour voyager puis pour pratiquer ce nouveau sport qui sera plus tard qualifié de mécanique… On combine ensuite les courses de grands prix avec le tourisme et la voiture s’est essayée dans les raids et les rallyes pour démontrer ses qualités étalées dans les publicités des constructeurs. Plusieurs numéros du journal L’Illustration étaient consacrés « au tourisme et à l’automobile » avec un chapitre spécial sur « les belles voitures » à partir de 1921(2) puis sur la première édition du « Grand Prix d’Endurance des 24 heures du Mans » qui s’est déroulée en 1923.
En bousculant le marché de l’automobile la Ford T de 1908 a changé la destination touristique de la voiture pour un devenir plus populaire, mais l’appellation est restée… La question sur cette appellation est toujours actuelle, ainsi on peut lire sur le site Web de la société Carrefour Location : « Le véhicule de tourisme, qu’on appelle également véhicule particulier se différencie du véhicule utilitaire et du véhicule de société. Qu’est-ce qu’un véhicule de tourisme ? Carrefour Location vous répond : Les véhicules utilitaires se différencient des véhicules de tourisme par leur fonction ».
Et une voiture de sport c’est quoi au juste ?
Jean-Claude Ribeyre
Notes :
1 - Il existe un musée de la voiture et du tourisme au Château de Compiègne, Place du Général de Gaulle 60200 - Compiègne.
2 - Dans le numéro d’octobre 1927 l’arrêt gastronomique commence a être illustré et l’utilisation de l’automobile se décline, en images, par des randonnées motorisées (de Paris à Deauville), l’heure du bain, l’heure du golfe, la piste de vitesse, les loges et tribunes de l’autodrome et toute l’échelle des sports… A l’époque des activités d’une certaine classe.
Voiture (pleine) de touristes ? Carte postale, Photo H. Tracol. Touristes de passage au pays. Lamastre. Collection Dürrenmatt. AD07 - 79 Fi 5812.
Voiture Chenard et Walcker de 1929. Conduite intérieure, 4 places ; Bas de caisse tôlé ; 4 portes ; Capotage similicuir - Garniture intérieure drap - Accessoires divers - Porte-malle. (9 CV). Frs : 24.500. Extrait d’une publicité du constructeur.
« Ce type de voiture [la limousine] fut réellement le premier qui permit un véritable confort à l'intérieur. On y installa à loisir tous les accessoires de tourisme et aussi de luxe qui en firent une voiture agréable : la lumière électrique, les cantines, les galeries à bagages et aussi les coffres vastes indispensables au voyageur ». Revue mensuelle du Touring-club de France d’août 1905. BnF, Gallica.
Une Vivastella Renault : « c’est la voiture maniable, légère, ultra-nerveuse, traitée avec toute la supériorité de l’esprit français ». Publicité Renault 1928. Revue L’illustration, collection privée. C’est ce type de voiture (avec une puissance de 16 CV et 7 places) que le Conseil général de l’Ardèche prévoyait d’acheter en 1933 pour les tournées de révision du préfet et autres déplacements administratifs… (ou politiques ?)