et les noms disparaissaient !
Il y a quelques jours on m'a transmis une série de films des années 1950 à 1970.
Ces films avaient été pris par une figure historique du village : Jean
Laffont - qui était un des très rares possesseurs d'une caméra Super
8.
On y voit des matches de foot avec l'équipe de Saint-Martin de 1950,
des défenseurs taillés comme des armoires à glace et des attaquants
déliés et véloces, conduisant avec maîtrise leurs ballons sur des
terrains bosselés et pour tout dire : impraticables. A la mi-temps,
les supporters chaudement vêtus de manteaux en poil de chameau et
canadiennes vont se désaltérer au rouge limé à la buvette (sans jamais
arrêter de tirer sur leurs cigarettes). Des concours de boules sur la
place du village où des participants en gilet et cravate disputent des
finales devant des spectateurs en habit du dimanche.
Des fêtes de village avec de folkloriques courses d'obstacles
"coureur+chèvre" vraiment originales. Des bals en plein air du
dimanche après-midi à "La Condamine" où les danseurs de slows
s'enlacent en se disant qu'un peu plus de pénombre et d'intimité
eussent plus favorables à leurs travaux d'approche.
Ce propos liminaire pour introduire mon sujet - en regardant ces
films, je me suis rendu compte que je connaissais beaucoup des
personnes qu'on y voyait, mais que j'étais incapable de citer leurs
noms. je veux dire leur nom inscrit à l'état civil.
Je savais comment les gens les appelaient dans la vie de tous les
jours, mais je n'avais aucune idée de ce qui était écrit sur leur
carte d'identité.
En y réfléchissant, je me suis rendu compte de l'incroyable
inventivité sémantique qui était à l'origine de la création de ces
nouveaux vocables et entraîné la disparition progressive de leurs
patronymes d'état civil et à leur remplacement par des noms
d'inspiration villageoise collective.
Pour n'en citer que quelques uns : "le Cail", "le J", "Nanou", Pitau",
"le Baron", "Babian", "le Bombu", "Géo Plazza", La Zize (d'Arcens),
"Gazzo", "L'abbé", "Courrez", "Olive", "Pedro", "Torin" "Phirin", "Les
Ninettes", "La Toussagne", "Nasser" "Le Faon", "Mano", "Mimite",
"Rusan. "le Gone", "Givors", "Bouillotte" "Friquet", "les
Chichailles", "Bolidou", "Grapillou", "l'abeille","la baronne", "Nette
Debard (Ernest)" et à Chanéac "Louis XVI" au lieu de Louis Serre.
.
Nulle intention maligne ni péjorative dans ces noms, qui n'étaient pas
des sobriquets mais avaient une connotation amicale.
Pareil pour les prénoms dont la plupart sont des diminutifs affectueux
- Les "Jean" s'appelaient rarement autrement que "Jeannot" sauf pour
le conseil de révision et le livret de famille " Exemple : essayez
d'appeler "Jean" les personnes suivantes : "Jeannot Satin", "jeannot
Plantier", "Jeannot Croze". Vous verrez, ça ne marche pas. Les
"Gilbert" se sont appelés "Bébert" '("Descours, Pizot) - Les Paul
s'appelaient "Paulet" ("Roméas - "Chalencon") Les "Louis" ou "Elie"
s'appelaient "Lili" (Sabatier - Sanial). Les "Auguste" c'était
obligatoirement "Gustou" (Gustou André). Les "André", c'était "Dédé"
(Debard, Vialle, Pizot), Les "Aimés" c'était "mémé" (Chanut).
Je pense que ces affectueux prénoms venaient de la proximité entre les
gens et du voisinage dans le village. Les familles donnaient des
diminutifs aimants aux jeunes enfants - Comme leurs voisins ne les
avaient jamais entendus appeler que comme cela, lorsque ces jeunes
étaient devenus adultes les diminutifs leur restaient. C'étaient
également des manifestations de bon voisinage et d'affection - Est-ce
que cela n'a pas un peu disparu ?
Un fait à noter également, quelquefois le surnom familier attribué au
père se transmettait au fils, ainsi le vocable "Le J" (Marc André)
s'est transmis à mon classard, son fils (Jean-Marc) "Pitau" (Marcel
Dussaud) à son fils (Bernard) - Zéphirin Roméas (phirin) à son fils
(Paulet).
A remarquer également : pour les notables locaux, le prénom
disparaissait complètement au profit de la fonction "le docteur
Figuel" "le docteur Teilhou" "Maître Ollien" "le capitaine Bouchet"
(moniteur d'auto école) - Le curé, quelque soit son patronyme c'était
"le curé" - l'abbé, c'était "l'abbé" - Le garde champêtre (Thil)
c'était "le garde" - le frère mariste qui dirigeait l'école c'était
"le frère directeur". Le plus haut gradé des gendarmes c'était "le
chef".
L'activité pouvait occulter le patronyme : une dame de ma famille qui
tenait un magasin de modiste était appelée "la renommée" du nom du
magasin.
Il y a d'autres cas où la personne qui portait le prénom se
l'appropriait tellement que personne d'autre ne pouvait le partager -
Quand on dit "Séraphin" il ne peut y en avoir qu'un (Séraphin Poncet)
- "L'Alice", pareil (Alice Laffont) - "La Rose" (Rose Sanial) "La
Lisette" idem. Torin (Victorin Collange, le cordonnier) il ne pouvait
y en avoir qu'un.
Un fait qui date bien l'époque également : les dames pouvaient choisir
dans leurs 2 ou 3 prénoms de baptême celui qu'elle utiliseraient de
manière usuelle
quelque soit leur ordre sur l'acte d'état civil. Exemple, on pouvait
s'appeler Paulette pour l'état civil et décider de s'appeler Marthe.
C'est une pratique qui a disparu.
Les noms de lieux où habitaient les personnes pouvaient occulter leurs
prénoms ou leurs prénoms "Clément de Pra-neuf" "Bourcet de la
Romane". "Moulin de la pibouille" ou les endroits où ils travaillaient
"La Marie des chez Ribes" "La Célie de chez Laffont".
Plus rarement des particularités physiques car les gens n'était pas
moqueurs "Louis Agier" la garagiste du Pont c'était "le grand Agier",
Armand de Armanas, c'était "le Raymondou" du fait de sa petite taille.
On nommait aussi certains, qui portaient le même patronyme d'état
civil, en fonction de leurs activités, ainsi il y avait "Alligier le
cochon",(sans que cela soit péjoratif) il était marchand de cochons ;
"Alligier la peau" (Jean Alligier) ramassait les peaux d'animaux
notamment les lapins, chevreaux. . "Chaussinand la toile", "Mounier
cure pipe", "Mounier la mule".
Voilà, c'était l'inventivité linguistique d'une époque. Elle s'est
continuée, même si elle n'a plus la même vigueur. Mais mon ami Robert
Masson, traversant les époques, c'est encore "le bourru". Et dans les
jeunes générations, nous avons "pit" "pif" et "toune". L'histoire
locale continue.
D'avoir parlé de ces gens les a tirés de l'oubli et les a remis au
premier plan qu'ils ont un moment occupé dans la vie de Saint-Martin
de Valamas. Quand on cherche à donner des noms aux rues, ils n'y a pas
que les gens célèbres au plan national qui le méritent, mais au plan
local la valeur de ces anonymes leur aurait bien donné droit à une
postérité.
Je vous donne la clé de ce que je sais de quelques noms - pour le
reste, merci de compléter les blancs et de me le faire savoir pour
enrichir le propos. Et si vous remarquez des oublis et si vous avez
des idées, rajoutez les dans "les commentaires" afférents à ce texte).
Je suis sûr que vous allez trouver et qu'on sera encore plus
exhaustifs...
"le Cail", (Marc Veuillens) - "le J", (Marc André - Jean-Marc André) -
"Nanou", (Philibert) - Pitau" (Marcel Dussaud - Bernard Dussaud) -
"le baron", (Paul Chazalet) - "Babian" (Lili Sabatier) - "le bombu"
(Jean Laffont) - "Géo Plazza" (Georges Chapignac) - La Zize (d'Arcens
- ?????), "Gazzo", (Marc Laffont - qui avait une voiture qui roulait
au gazogène pendant la guerre) "L'abbé" (Jean Dussaud ) - "Courrez",
(Marc Héritier qui jouait au foot et qui encourageait des coéquipiers
"courrez!" - tué en Algérie) - "Olive" (Yves Mathon ou Mathon Kiki en
rapport avec la chanson ma tonkinoise) de la rue des puces - "Pedro"
(Roche ? - Rue Royale) "Torin" (Victorin Collange, le cordonnier) -
"Phirin"(Zéphirin Roméas) , "Les Ninettes" (deux demoiselles qui
avaient un magasin sur la place) , "La Toussagne", (une dame qui
habitait une maison au dessus du cimetière et qu'on menaçait d'appeler
pour faire peur aux enfants pas sages) - "Nasser" (Buraliste au
garail) - "Le faon", (Valérie Croze) - "Mano" (Manaudier) - Rusan
(jean Collange - le père d'Hubert - rue Royale). "le Gone" (Georges
Collange) "Mimite (Rémi Debard) "Friquet" (André Charre le maçon), les
Chichailles, (Melles Chalencon), "Bolidou" (Georges Charre),
"Grapillou" (Gérard Chambon), "l'abeille" (André Pizot), "la baronne"
(Mme Alligier de Champchiroux), "Moulin de la Pibouille" (Henri
Moulin).
Georges Vérat - Avec la contribution de Jean Dussaud
NB : Si quelque chose vous heurte ou vous blesse dans les propos,
faites moi le savoir, je supprimerai ce qui est inconvenant.
Pour voir le film de Jean-Laffont sur St Martin, qui est au point de
départ de ce texte, cliquez sur le lien suivant :
https://www.youtube.com/watch?